Le tout récent rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) affirme que la transition écologique est une urgence absolue pour contrer les changements climatiques. Cependant, plusieurs études françaises suggèrent que cela pourrait coûter cher et durablement tant sur le plan économique que social.
Le 20 mars dernier, le sixième rapport d’évaluation du GIEC a été publié après avoir fait l’objet d’une session d’approbation par les représentants des 195 pays membres de l’organisation. L’une des retombées de ce rapport est « l’extrême urgence à réduire nos émissions si nous voulons éviter de dépasser un réchauffement de 1,5 degré », comme le souligne dans la foulée Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique.
Mais à quel prix ? Selon Patrick Artus, conseiller économique de Natixis et cosignataire avec l’économiste Olivier Pastré du livre De l’économie de l’abondance à l’économie de rareté, le coût de cette transition écologique serait « vingt prochaines années de rareté » de « matières premières nécessaires aux énormes investissements liés à la transition énergétique ». À cela s’ajoute un coût social « important et durable » « en matière d’emploi et de salaires », d’après Axelle Arquié et Thomas Grjebine, économistes au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), rattaché à Matignon.
Une destruction certaine de valeurs, mais pas forcément « créatrice »
À travers leurs études respectives, tous les chercheurs susmentionnés rejettent l’hypothèse optimiste de la théorie de la « destruction créatrice » selon laquelle le progrès technique et les innovations permettraient d’une part de conserver un taux de croissance du PIB suffisamment important afin de minimiser le coût de la transition, et d’autre part de transférer de manière vertueuse de la main-d’œuvre depuis les entreprises les moins créatrices en valeur vers celles qui le sont plus.
En effet, dans son interview pour l’Opinion, Patrick Artus ne se dit « pas très optimiste sur notre capacité à restaurer les gains de productivité ». Car « cela fait des décennies que les gains de productivité ne cessent de décroître. Ils étaient de 2% dans les années 1990, ils sont tombés à près de 1% au début des années 2000, et maintenant ils sont nuls. D’un bout à l’autre de la planète, il n’y a pas d’exemple d’un pays qui parvienne à stabiliser ses gains de productivité. En réalité, nos innovations sont de moins en moins efficaces et pertinentes. L’argent nécessaire pour trouver une nouvelle molécule ou extraire un baril de pétrole supplémentaire est croissant dans le temps ».
Axelle Arquié et Thomas Grjebine craignent quant à eux qu’ « une insuffisante adaptation à la transition, ou une mauvaise spécialisation, pourrait déstabiliser l’industrie française, déjà mise à l’épreuve par la désindustrialisation. »
Dans ce cas, on pourrait se trouver dans une situation similaire à la désindustrialisation que la France a connue depuis les années 2000, comme le démontre leur étude qui s’appuie sur les données des plans sociaux de la France entre 1997 et 2021 :
« Le secteur manufacturier dans le PIB a chuté de 23 % à 10 %, et celle dans l’emploi de 29 % à 11 %. Plusieurs facteurs ont concouru à cette désindustrialisation et aux destructions d’emplois qui l’ont accompagnée, parmi lesquels le progrès technique, notamment l’automatisation, et la concurrence internationale. Les zones d’emploi les 1 % les plus exposées à la concurrence chinoise (très forte au tournant des années 2000) avaient ainsi une probabilité de 10 points plus élevée de connaître un plan social que les 1 % moins exposées ».
Ainsi, les économistes du CEPII n’ont pas observé la réallocation vertueuse de l’emploi projetée par la théorie de la « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter. Contrairement à la déclaration du chef de l’État français Emmanuel Macron au Point en août 2017, selon laquelle « on est dans un monde schumpétérien », les données présentent en effet une tout autre réalité : si « une part importante des salariés ne retrouve pas d’emploi et n’est donc pas « réallouée », « qu’observe-t-on dans la zone d’emploi après un licenciement massif ? Une précarisation accrue : les parts d’intérimaires et de CDD dans l’emploi total sont respectivement 21 % et 47 % plus élevées six ans après le plan social. »
Vers une hausse de fiscalité qui serait à la fois inévitable, mais inflationniste et inégalitaire ?
Mais s’ « il est important de libérer le processus de destruction créatrice » afin de réaliser la transition écologique en France, avec « tous les moyens nécessaires, quoi qu’il en coûte », comme prononcé par Emmanuel Macron en mars 2020, comment pourrait-on la financer ?
Face à cette question, il n’y aura pas trente-six solutions, selon Patrick Artus : « L’éolien offshore produit une électricité à 35 euros le mégawattheure, mais le prix de revient est trois fois plus élevé si on tient compte du stockage quand il n’y a pas de vent. Un autre coût caché est la moindre efficacité des énergies renouvelables. Recourir à l’hydrolyse de l’eau pour fabriquer de l’hydrogène, puis à une pile à combustible pour produire de l’énergie, ne permet de récupérer que 40 % de l’énergie utilisée initialement. La hausse des prix concerne l’énergie, mais aussi les voitures propres, la rénovation des logements, etc. Les Français les plus modestes utilisent déjà 20% de leur revenu pour consommer de l’énergie […] Tout cela entraîne un besoin de politiques redistributives massives, sauf à exclure une partie de la population des logements décents, des voyages, etc. L’État va rapidement manquer de moyens pour réaliser toutes ses ambitions. Inexorablement, cela implique une augmentation de la pression fiscale. »
Cependant, d’après une étude publiée récemment par des chercheurs du centre de recherche économique CEPREMAP, une taxe carbone serait inflationniste et inégalitaire dans les conditions actuelles des politiques monétaires européennes : « La taxe carbone agit sur l’économie comme un choc d’offre négatif qui contracte l’activité économique, augmente le niveau des prix et frappe particulièrement les ménages défavorisés qui consacrent une plus grande part de leurs revenus à l’énergie ».
Plus précisément, « redistribuer aux ménages modestes les recettes fiscales de la taxe carbone ferait perdre de la croissance et réduirait peu les inégalités. Utiliser les recettes de la taxe carbone pour investir dans la rénovation énergétique préserve mieux la croissance tout en limitant la montée des inégalités. [Néanmoins], comme ces deux politiques stimulent la demande, et sont donc inflationnistes, elles amènent la Banque Centrale Européenne à remonter son taux directeur, ce qui freine l’activité et augmente les inégalités via la hausse du taux d’intérêt réel profitable aux revenus du patrimoine ».
En évoquant l’augmentation des inégalités de revenu probablement provoquée par une fiscalité « verte » sur les produits énergétiques, les chercheurs du CEPREMAP font référence au mouvement des gilets jaunes en 2018. Aujourd’hui, les crises sont de différentes natures : financière, sanitaire, alimentaire, énergétique et sociale. On est donc dans un processus de « destruction », certes, mais qui semble très loin d’être « créatrice ».
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