Trois journalistes du Wall Street Journal privés de leur carte de presse par Pékin à la suite de leur couverture du coronavirus

Par Eva Fu
20 février 2020 16:22 Mis à jour: 20 février 2020 16:25

Le 19 février, la Chine a annoncé qu’elle retirait les accréditations de trois journalistes du Wall Street Journal (WSJ), marquant ainsi la plus grande expulsion de médias étrangers dans le pays depuis des décennies.

Mercredi, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang a avoué que Pékin aurait pris cette décision en guise de représailles face au titre d’un éditorial du quotidien publié le 3 février intitulé : « C’est la Chine qui est le véritable homme malade de l’Asie. »

Lors d’une conférence de presse tenue mercredi, Geng Shuang a déclaré que le régime chinois avait mané des « actions sévères » répétées envers le WSJ au sujet de l’article, qui, selon lui, contient un « titre empreint de discrimination raciale » et discrédite le régime chinois. Il a reproché à la publication de ne pas avoir présenté les excuses officielles qu’exigeait le régime chinois, et a menacé de prendre d’autres mesures si nécessaire.

Nous « n’accueillons pas les médias qui utilisent un langage empreint de discrimination raciale et qui calomnient malicieusement », a-t-il ajouté.

Le chef adjoint du Bureau de l’agence, Josh Chin, et le journaliste Chao Deng, tous deux ressortissants américains, ainsi que le journaliste Philip Wen, un Australien, ont été priés de quitter le pays dans les cinq jours, selon le WSJ. Le journal a noté qu’aucun des trois journalistes n’avait été impliqué dans ce reportage.

L’expulsion a eu lieu parallèlement quelques heures seulement après que le ministère des Affaires étrangères américain a désigné cinq grands médias officiels chinois comme étant des missions diplomatiques étrangères et des agents du régime chinois. Il s’agit du diffuseur public CCTV, de sa filiale à l’étranger China Global Television Network (CGTN), de China Radio International, de la China Daily Distribution Corporation et de Hai Tian Development USA, le distributeur américain du Quotidien du peuple (People’s Daily), le porte-parole du Parti communiste chinois.

La nouvelle désignation va contraindre toute activité sur le sol américain de ces sociétés à être enregistrée auprès du ministère des Affaires étrangères pour les changements de personnel. En outre, elles devront enregistrer les biens immobiliers qu’elles possèdent actuellement, et à l’avenir, demander autorisation préalable avant d’acheter ou de louer de nouveaux bureaux, comme le font déjà les missions diplomatiques étrangères

M. Geng n’a pas fait de lien entre les nouvelles désignations du ministère des Affaires étrangères et les expulsions, mais a déclaré que la Chine « déplore et rejette la mauvaise décision ».

William Lewis, l’éditeur de WSJ, a déclaré dans un communiqué que la société était « profondément déçue » par la décision du ministère chinois des Affaires étrangères.

Mais il a également déclaré que la publication regrettait que l’article susmentionné ait « clairement provoqué la colère et l’inquiétude du peuple chinois ».

« Nos pages d’opinion publient régulièrement des articles avec des opinions que les gens désapprouvent – ou avec lesquelles ils sont d’accord – et notre intention n’était pas d’offenser qui que ce soit avec le titre de l’article », a-t-il fait savoir.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a critiqué la décision, affirmant que la « réponse correcte [à l’article] est de présenter des contre-arguments, et non de restreindre le discours ».

« Les pays mûrs et responsables comprennent qu’une presse libre rapporte les faits et exprime des opinions », a-t-il fait remarquer dans une déclaration mercredi. Il a déclaré que les États-Unis espèrent pour les Chinois « le même accès à des informations exactes et à la liberté d’expression dont jouissent les Américains ».

Au total, au moins neuf reporters ont été contraints de quitter la Chine depuis 2013, bien que le pays n’ait pas expulsé expressément un correspondant étranger depuis 1998, selon le Club des correspondants étrangers de Chine (FCCC).

Un policier chinois porte un masque de protection alors qu’il monte la garde devant la porte Qianmen lors d’une chute de neige dans une rue commerciale vide et fermée à Pékin, en Chine, le 5 février 2020. (Kevin Frayer/Getty Images)

En 1998, la Chine a expulsé un journaliste japonais et allemand pour possession présumée de secrets d’État.

Dans une déclaration, le FCCC a fermement condamné la décision de la Chine d’annuler les visas et les cartes de presse des journalistes, déclarant qu’il s’agissait d’une « forme de représailles sans précédent contre les journalistes étrangers en Chine ».

« L’action entreprise contre les correspondants du Journal est une tentative extrême et évidente des autorités chinoises d’intimider les organisations de presse étrangères en prenant des mesures de rétorsion contre leurs correspondants basés en Chine », a-t-elle soumis.

Chun Han Wong, un reporter singapourien qui travaillait au Bureau de Pékin du WSJ, a également été expulsé de Chine en août 2019 après que les autorités ont refusé de renouveler ses accréditations de presse. Quelques semaines auparavant, M. Chun avait écrit un rapport d’enquête détaillant une enquête australienne sur les activités de blanchiment d’argent de Ming Chai, un cousin du leader chinois Xi Jinping.

Mercredi, le sénateur Ben Sasse (R-Nebraska) a également réprimandé Pékin pour cette décision, notant que le Journal, comme beaucoup d’autres médias étrangers, est bloqué par le pare-feu Internet de la Chine et donc inaccessible au public chinois.

« Voici la preuve que Pékin est malade : le même Parti communiste chinois qui est resté sur la touche pendant des semaines alors que le coronavirus sévissait à Wuhan est passé à l’action lorsque le président Xi a été blessé par un titre que personne en Chine n’avait la liberté de lire », a-t-il déclaré dans un communiqué de presse.

« Le Wall Street Journal ne doit rien au Parti communiste chinois. Le président Xi doit des excuses au peuple chinois pour sa dissimulation du coronavirus. »

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