Pourquoi il est urgent de réglementer l’ubérisation de l’économie

Par Ludovic Genin
30 septembre 2015 16:31 Mis à jour: 25 avril 2024 16:19

Les nouvelles technologies vont vite et changent le modèle social de la société française. Les plateformes numériques bousculent l’économie classique, en se libérant de la fiscalité et de la protection sociale. Cette « ubérisation » de la société est-elle déjà allée trop loin ? La Loi de Finance 2016 a été présentée le 30 septembre au Conseil de ministre avec un volet sur la réglementation de cette économie numérique.

Cela arrive sous nos yeux. Tous les secteurs des services sont en train d’être « ubérisés ». Les services de livraison, de dépannage à domicile, les transports, la cuisine, les tâches ménagères, les serruriers, les plombiers, la réservation d’hôtel, les voyages, les services bancaires, la location de voiture, etc. plus besoin de bureau physique ni de salariés, il suffit d’une plateforme accessible sur smartphone ou sur internet. Plus besoin non plus de protection sociale et de fiscalité, le service est assuré par des indépendants ou des particuliers, et l’application collaborative s’occupe de la paperasse. Le modèle de l’entreprise tel que nous le connaissons serait-il en train de disparaître ?

L’ubérisation des services : vers un nouveau modèle de société
L’ubérisation, en d’autres termes l’économie collaborative, permet de mettre en relation l’offre à la demande directement à travers une application logicielle sur le smartphone que l’on porte tous sur soi. L’application se charge de mettre en relation le client, avec un utilisateur lambda de l’application, particulier ou indépendant, déclarant avoir le savoir-faire ou le matériel nécessaire. La plateforme monétise l’intervention, évite la paperasse (tout se fait via le smartphone) et prend sa commission.

Là dessus, tout le monde pourrait être content dans le meilleur des mondes. Sauf que, cela pourrait mettre en danger l’emploi des entreprises, habituées à travailler avec des bureaux physiques, des salariés et payant des charges sociales, bref le modèle social français.

D’ici dix ans, les nouvelles technologies auront potentiellement causé la suppression de 3 millions de postes – Cabinet de conseil en stratégie Roland Berger

En effet, le nombre d’emplois réels d’une plateforme numérique est très inférieur (plus de 100 fois) au nombre d’emplois d’une entreprise réelle, avec des locaux, des frais d’entretien, des taxes, etc. De plus l’application numérique externalise le service au niveau de particuliers ou d’indépendants, qui s’exonèrent eux aussi des frais matériels d’une entreprise réelle.

Gagner plus avec moins de charges … et moins de salariés
Un exemple assez flagrant est le cas de l’application Airbnb qui propose un service de location de chambre de particulier à particulier. Créée en 2008, elle est maintenant mieux cotée en bourse que la chaîne hôtelière historique Accor. À la différence qu’elle emploie seulement 600 personnes dans le monde, quand le groupe Accor en emploie 180 000. Un différentiel de 300 fois moins de ressources humaines pour un chiffre d’affaires plus important : économiquement, c’est un rêve. Socialement, c’est une catastrophe.

Selon un rapport du cabinet de conseil en stratégie Roland Berger d’ici dix ans, les nouvelles technologies auront potentiellement causé la suppression de 3 millions de postes : « Certes, la digitalisation de l’économie ouvre de nouvelles perspectives de création d’emplois. On sait également que les entreprises digitales connaissent la croissance la plus dynamique. Mais les emplois créés ne se substitueront pas aux emplois détruits, ni en termes de niveau de compétence requis, ni en termes de position sur la chaîne de valeur, ni en termes de répartition géographique »,

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Vers la fin du salariat classique : le smartphone externalise la valeur des entreprises
Avec les nouvelles technologies, il n’y a en effet plus besoin d’entreprises, ni même de patron, l’application toujours en poche nous dit où aller et quoi faire. Pas loin d’être de bons robots automates, ce nomadisme technologique est train de révolutionner les codes du travail.

Selon François Lenglet, journaliste économique sur France 2, « dans le secteur des services aux particuliers, nous allons vers la fin du salariat classique. On est entré dans l’économie à la demande, c’est à dire, celle de la prestation de service sur mesure et instantanée. C’est le consommateur qui impose ça, car il veut tout, tout de suite comme s’il appuyait sur un bouton. C’est l’économie presse-bouton et les entreprises sont contraintes de se réorganiser ».

Une seule exigence est nécessaire dans cette nouvelle économie : le besoin immédiat du consommateur, un service de qualité et surtout moins cher. Si le service était auparavant qualifié par des diplômes et l’expérience – si tant est qu’on pouvait le vérifier, c’est l’application qui permet aux utilisateurs de noter la qualité de l’intervention, faire monter ou descendre la qualification de l’intervenant, ainsi que le prix de sa prestation. Reste à redouter d’ailleurs des systèmes de fraudes aux avis, comme on le voit déjà sur les plateformes de vente en ligne.

Alors pourquoi les clients ne continueraient-ils pas à s’adresser à des entreprises ? « Parce qu’elles sont plus chères et que cela serait probablement trop cher pour le consommateur. Avec les nouvelles technologies, on n’a plus vraiment besoin d’entreprises. Pour certains professionnels, le bureau, c’est le smartphone qu’ils ont dans la poche et qui leur permet de répondre à la demande de travail à tout moment », souligne le journaliste.

Loi de finance 2016 : comment réglementer l’économie collaborative
Le 18 septembre, l’État a voulu mettre le holà à cette économie numérique débridée. Le Sénat a proposé de réformer en profondeur le prélèvement de l’impôt auquel sont soumis les sites d’e-commerce et les plateformes collaboratives.

34,7 millions de Français achètent en ligne chaque année soit 700 millions de transactions commerciales

Le rapport de la commission des finances du Sénat sur l’économie collaborative en explique les raisons : « Dans un contexte où le salariat est de moins en moins la norme et où le travail indépendant progresse […], il devient nécessaire de repenser globalement le statut de ces travailleurs de l’économie collaborative. […] À terme, la question du passage à un modèle où les obligations contributives et la protection sociale ne sont plus attachées au statut (salarié etc.) mais à l’individu se posera ».

Pour le sénateur Albéric de Montgolfier, il y avait en effet urgence à agir : « C’est une question de responsabilité face à l’érosion de nos bases fiscales. Privés de leurs recettes de TVA, les États pourraient être tentés d’augmenter le taux… et, aujourd’hui, les Français en ont assez de payer des impôts. » Au total, ce sont 34,7 millions de Français qui achètent en ligne, ce qui correspond à 700 millions de transactions commerciales par an.

Car l’ubérisation en plus de changer le modèle social pour les entreprises, change également le modèle social de l’État qui perd une partie de ces revenus – ce qui signifie à terme pour les Français payer plus d’impôts.

« On parle de révolution numérique, mais il faudrait aussi parler de révolution fiscale », estime Bernard Lalande, parlementaire PS et membre de la commission des Finances du Sénat. La proposition des sénateurs devraient prendre forme dans la Loi de finance 2016 ou Loi sur le Budget 2016 présentée aujourd’hui au Conseil des ministres.

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