Le Parlement européen a donné un premier feu vert mardi à une loi destinée à défendre le pluralisme et l’indépendance des médias ainsi que le secret des sources, un sujet au cœur de l’actualité en France avec la récente garde à vue d’une journaliste.
Le vote, marqué par 448 voix pour (102 contre et 75 abstentions), ouvre désormais la voie à des négociations avec les États membres, qui s’annoncent ardues, avant une adoption finale. Cette « loi européenne sur la liberté des médias » a été présentée par la Commission en septembre 2022, face à la détérioration de la situation dans des pays de l’UE comme la Pologne et la Hongrie. Elle prévoit des garanties pour une indépendance éditoriale des rédactions vis-à-vis du pouvoir politique ou économique et fixe des obligations de transparence sur la propriété des médias.
Pressions énormes
« Cela n’a pas été facile d’en arriver là. Les pressions contre cette loi ont été énormes, et au départ beaucoup pensaient que c’était mission impossible », a déclaré la vice-présidente de la Commission européenne Vera Jourova devant les eurodéputés réunis en session plénière à Strasbourg.
Le texte interdit les détentions de journalistes, les fouilles de documents et perquisitions de leur bureau ou domicile « en particulier quand de telles actions peuvent conduire à l’accès à des sources journalistiques ». Les dérogations à ce principe sont strictement encadrées. »Ces garde-fous sont clairement plus protecteurs que la loi française et apportent un niveau de protection qui aurait empêché qu’un épisode comme celui d’Ariane Lavrilleux se produise », explique à l’AFP Julie Majerczak, directrice du bureau bruxellois de Reporters sans frontières (RSF).
La journaliste française, qui collabore avec le site d’investigation Disclose, a été placée en garde à vue pendant 39 heures les 19 et 20 septembre et a vu son domicile perquisitionné, dans le cadre d’une information judiciaire pour compromission du secret de la défense nationale, à la suite d’articles sur des ventes d’armes françaises à l’étranger et sur une mission de renseignement française en Égypte que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des opposants.
Les dispositions de la loi destinées à protéger le secret des sources et le travail journalistique promettent de difficiles discussions avec les États membres, qui ont adopté en juin leur position sur ce texte. A la demande de la France notamment, ils ont insisté sur les dérogations possibles au nom de la « sécurité nationale ».
Le texte voté prévoit que l’utilisation de logiciels espions de type Pegasus à l’encontre de journalistes ne puisse être autorisée qu’« en dernier recours », « au cas par cas », et si cette mesure a été ordonnée par une instance judiciaire indépendante dans le cadre d’une enquête pour un « crime grave tel que le terrorisme ou la traite des êtres humains », indique le Parlement.
« Il interdit l’utilisation de logiciels espions dans des enquêtes qui concernent l’activité professionnelle de médias et de leurs employés », a précisé l’eurodéputée roumaine Ramona Strugariu, l’une des rapporteures du texte.
Dans une lettre ouverte, 80 organisations et syndicats de journalistes avaient appelé les eurodéputés à voter pour une interdiction complète de ces « spywares« .
Censure des plateformes
Autre point crucial de la législation : la question de la modération des contenus journalistiques par les plateformes en ligne. Afin d’éviter que ces plateformes ne suppriment ou restreignent arbitrairement des articles ou des reportages vidéo, la loi prévoit un traitement à part pour les médias remplissant un certain nombre de conditions.
Ces médias doivent être transparents sur leurs propriétaires, être indépendants éditorialement, être soumis à la supervision d’une autorité nationale ou respecter des normes d’autorégulation, ne pas produire de contenus par un système d’intelligence artificielle sans que ce contenu n’ait été soumis à un contrôle humain. Si une plateforme estime que le contenu d’un média ainsi reconnu enfreint ses règles d’utilisation, elle doit l’avertir 24 heures avant de procéder à une éventuelle suspension ou restriction, afin de lui laisser le temps de se défendre.
Mais cela pose la question de l’évaluation de ces critères, de la possibilité de faire appel à un instance autonome et ainsi de la liberté d’expression des médias. Car la proposition de loi s’appuie notamment sur la législation sur les services numériques (Digital Service Act DSA). A ce propos, Guillaume Zambrano, maître de conférences en Droit privé et en sciences criminelles à l’Université de Nîmes, interviewé par Epoch Times, soulignait les problèmes liberticides posés par cette législation obligeant toutes les grandes plateformes Internet, moteurs de recherches et autres intermédiaires à supprimer les contenus considérés “illicites” par le règlement du DSA sous peine de sanctions : Notamment, «Qui définit ce qu’est un contenu licite ?» D’après M. Zambrano, cela revient à déléguer « aux plateformes la mise en œuvre de la censure, l’exécution des actes de blocage, le retrait des contenus, la suspension des comptes, etc. » mais à donner aussi à ces plateformes « la responsabilité de définir ce qui est illicite ». Et la plateforme va préférer supprimer des contenus car si elle laisse passer un contenu illicite, elle s’expose à des sanctions administratives. Et cela interroge sur la contestation de la décision car les instances juridiques nationales, ne pouvant se baser sur une loi nationale, ne pourront rien faire à leur niveau. L’enseignant chercheur pointe ainsi une atteinte aux libertés d’expression individuelles. La loi Avia en France précise-t-il, devait également obliger les plateformes à retirer les contenus illicites mais le Conseil constitutionnel l’a censuré en 2020.
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