Le 13 octobre 2023, Dominique Bernard, professeur de français à Arras, est assassiné par Mohammed Mogouchkov, l’un de ses anciens élèves fiché pour radicalisation islamiste. Depuis, les hommages se poursuivent, dont une cérémonie dimanche.
Vendredi 13 octobre, 11h00. Un jeune homme en pantalon et capuche noirs, armé de deux couteaux, s’approche de la cité scolaire Gambetta-Carnot, regroupant collège et lycée, quand quatre enseignants, dont Dominique Bernard, sortent de l’établissement. Mohammed Mogouchkov, un Russe de 21 ans, frappe son ancien professeur de français au cou et à l’épaule.
Un autre enseignant tente de s’interposer mais l’assaillant le blesse gravement au visage et le poursuit jusque dans la cour intérieure du lycée. Sous les yeux d’élèves qui voient se dérouler la scène depuis les salles de classe, deux agents tentent de défendre leurs collègues, mais sont à leur tour blessés.
L’alarme intrusion retentit, les élèves sont confinés. Un enseignant de philosophie, Martin Dousseau, décrit un « mouvement de panique » à l’intercours. Des policiers arrivés sur place en quelques minutes maîtrisent le jeune homme avec leur pistolet à impulsion électrique.
Un mort et trois blessés
En dix minutes, Mogouchkov a fait un mort et trois blessés. Dans une vidéo publiée avant l’attaque, il revendique son geste au nom du groupe terroriste État islamique. La France est placée en alerte « urgence attentat ».
Dominique Bernard, 57 ans, originaire d’Arras, agrégé de lettres modernes et enseignant au collège, était « passionné » de littérature selon ses proches. Cofondateur de l’université populaire d’Arras, il était « discret », « n’aimait pas le bruit et la fureur du monde », avait décrit son épouse Isabelle lors de ses funérailles dans la cathédrale d’Arras devant un millier de personnes, dont le président Emmanuel Macron.
La cérémonie prévue dimanche sur la place des Héros à Arras, en présence des ministres de l’Intérieur Bruno Retailleau et de l’Éducation Anne Genetet, a été pensée avec ses proches comme une « séquence mémorielle culturelle », explique le maire d’Arras Frédéric Leturque.
Au programme, musique, danse, littérature, correspondant « à ce que Dominique Bernard aurait pu apprécier », explique l’édile. Objectif : mettre « en lumière les valeurs de la République, la liberté et le vivre-ensemble ». « Il nous semble essentiel de rappeler sa mémoire », indique à l’AFP Paule Orsini, une amie du professeur, des sanglots dans la voix. Elle souligne que les établissements scolaires doivent « dénoncer immédiatement tout comportement apparenté à une attitude criminelle ».
Un prix littéraire sur le thème de la tolérance
Pour faire vivre cette mémoire, Isabelle Bernard a également lancé un prix littéraire de nouvelles destiné aux adolescents, dont la première édition a pour thème la tolérance.
Plusieurs villes ont rebaptisé des rues ou places au nom du professeur tué.
« Notre famille tient à ce que les valeurs auxquelles Dominique tenait puissent perdurer », explique sa sœur dans un entretien au magazine Pèlerin, seule prise de parole médiatique prévue de la famille.
Plus de 100 personnes ont été entendues dans le cadre de l’information judiciaire ouverte en octobre 2023.
Mis en examen pour assassinat et tentatives d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, Mohammed Mogouchkov a expliqué lors d’interrogatoires avoir volontairement ciblé son ancien professeur de français, « l’une des matières » où on transmet « l’attachement du système en général de la République, de la démocratie, des droits de l’Homme ».
Son petit frère mineur a été mis en examen pour complicité et son cousin pour abstention volontaire d’empêcher un crime.
Il était fiché et sous surveillance
Né en 2003 dans la république russe à majorité musulmane d’Ingouchie, Mogouchkov arrive en France à cinq ans, d’abord à Rennes, puis à Arras. Dans la cité HLM, que sa mère et ses soeurs ont depuis dû quitter, les voisins décrivent un homme mutique, « froid ».
Sa demande d’asile déposée à 18 ans est refusée, mais il n’est pas expulsé en raison de la « protection absolue » accordée aux mineurs arrivés en France avant 13 ans, expliquait à l’époque l’entourage du ministre de l’Intérieur.
Mogouchkov était fiché pour radicalisation islamiste depuis février 2021 après deux signalements du lycée Gambetta d’Arras. Depuis juillet 2023, il était surveillé par la DGSI en raison des liens avec son grand frère, Movsar, incarcéré pour ne pas avoir dénoncé un projet d’attentat aux abords de l’Élysée, et son père fiché S expulsé en 2018.
L’assassinat de Dominique Bernard, presque trois ans jour pour jour après celui de Samuel Paty, a secoué toute la communauté éducative. « Comment peut-on imaginer qu’un professeur parte travailler et ne rentre jamais chez lui ? Ce métier n’est pas censé être à risque », témoigne, encore ému un an après les faits, un ancien collègue, Oussama Kamali, professeur de mathématiques, l’un des rares à s’exprimer devant la presse.
Au sein du collège-lycée Gambetta, un suivi psychologique reste disponible pour le personnel, selon Julie Duhamel, du syndicat enseignant SE-UNSA. Un comité local d’aide aux victimes, créé pour accompagner les 2000 personnes présentes sur les lieux au moment des faits, continue le soutien psychologique et administratif.
Une meilleure sécurisation des établissements
Après l’attentat, un audit sur la sécurité des établissements scolaires a identifié 500 établissements à risques. Quelque 400 ont depuis été sécurisés avec notamment des portiques anti-intrusions.
Lundi, une minute de silence sera organisée dans les collèges et lycées en mémoire de Dominique Bernard et Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie également tué par un islamiste radicalisé le 16 octobre 2020 en région parisienne.
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