Un demi-milliard d’euros de masse salariale : les salaires extravagants des dirigeants des JO de Paris 2024

Rémunérations XXL, soupçon de favoritisme et de prise illégale d’intérêts, les jeux d'argent derrière les Jeux

Par Ludovic Genin
1 avril 2024 06:52 Mis à jour: 25 avril 2024 16:15

Les Jeux olympiques de Paris vont être particulièrement rémunérateurs pour certains responsables du comité d’organisation. Dans une note budgétaire interne que l’émission de France 2 «Complément d’enquête» a pu se procurer, la masse salariale des dirigeants du Comité d’organisation a été estimée à 584,8 millions d’euros depuis 2017. Certains dirigeants, déjà généreusement rémunérés, viennent de recevoir une nouvelle augmentation de salaires.

Depuis début 2021, deux rapports de l’Agence française anticorruption (AFA) sur l’organisation des Jeux ont noté des « risques d’atteintes à la probité » et des « conflits d’intérêts ». Tony Estanguet, le président du Comité, est quant à lui visé par une enquête du parquet national financier sur les conditions de sa rémunération.

Les organisateurs et la ministre des Sports justifient ces rémunérations par leur légalité, aimant à rappeler que les Jeux sont avant tout pour les Français. À côté de ces belles rémunérations, 45.000 bénévoles ont été appelés par l’organisation afin d’aider au bon déroulement des Jeux.

Plus d’un demi-milliard d’euros pour une trentaine d’employés

L’émission «Complément d’enquête» diffusée le 28 mars s’est penchée sur le budget alloué au comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) de Paris 2024. France 2 s’est procurée une note budgétaire interne indiquant que la masse salariale du Cojop était estimée à 584,8 millions d’euros. Sont concernées l’intégralité des salaires versés depuis 2017 à une « trentaine d’employés en poste depuis le début, ainsi que les 4000 fiches de paie éditées au moment des Jeux olympiques ». Le porte-parole du comité d’organisation, Michaël Aloïsio, l’explique : « Lorsque vous organisez les Jeux olympiques, vous avez besoin des meilleurs experts au monde, et donc il n’est pas anormal que notre principal poste de dépense soit sur cette expertise ! »

Les journalistes de « Complément d’enquête » ont cependant découvert un autre document qui remet en question cette affirmation pour ce type de prestation. Un pré-rapport de la Cour des comptes daté de mars 2021 évoquait en effet des niveaux de salaire plus élevés en moyenne que dans le secteur privé. 13 directeurs du Cojop sont rémunérés autour de 153.000 euros brut par an, 8 directeurs exécutifs plus de 200.000 euros et un directeur général est à 260.000 euros. Le total des 5 rémunérations les plus élevées s’élève à un cumul de 2,2 millions d’euros par an.

« Cela a été encadré par des experts qui ont validé une grille de rémunération », se justifie le président du Cojop, Tony Estanguet, lui-même payé plus de 300.000 euros par an depuis 7 ans. Il explique qu’il y a « des compétences très recherchées » et que le comité des rémunérations du comité est « indépendant ».

Une augmentation récente de 115 millions d’euros

Malgré une grille salariale déjà élevée, les journalistes de Complément d’enquête ont aussi remarqué qu’une dizaine de « cadres dirigeants » ont vu leurs salaires fortement rehaussés fin 2023, rapporte Franceinfo.

Selon Claudia Rouaux, députée socialiste d’Ille-et-Vilaine et membre du comité de rémunération de Paris 2024 depuis septembre 2023, pour la majorité des dirigeants l’augmentation est entre 7 et 10%. Certains d’entre eux font des bonds de 15.000 euros sur un an, d’autres de 32.000 euros supplémentaires et une directrice de la communication a vu son salaire passer de 150.000 à 195.000 euros par an.

Le comité d’organisation assume l’utilité de ces sommes pour l’organisation des Jeux, même si l’augmentation de leur salaire est supérieure de 115 millions d’euros à la somme annoncée dans le dossier de candidature. Concernant le salaire de la directrice de communication, augmenté de 45.000 euros, l’organisation plaide en mettant en avant l’importance de la parité et de l’égalité salariale homme-femme : « Sur ce point précis, nous avions un sujet qui nous tient particulièrement à cœur : celui de l’égalité salariale. Notre comité des rémunérations nous avait alertés sur certains profils féminins qui n’étaient pas à la hauteur des meilleurs salaires », répond le comité.

Le président du Cojop, Tony Estanguet, a également justifié la hausse de la masse salariale du comité, après avoir été questionné par des députés : « Le montant de la masse salariale est aujourd’hui de 584 millions d’euros, ce qui représente 13% du budget du comité, plutôt inférieur par rapport au dernier comité d’organisation des Jeux et à beaucoup d’entreprises », a-t-il déclaré lors d’une audition le 27 mars devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée.

Même écho de la part de la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques Amélie Oudéa-Castéra, interrogée dans l’émission de France 2 : « On a besoin de ces meilleures expertises pour délivrer de grands jeux […] Ça va être de grands jeux qui vont rendre les Français heureux et fiers. Ils vont projeter une image positive de notre pays ». Devant les relances du journaliste, la ministre se justifie en ajoutant que ces salaires sont justifiés parce que les Jeux « seront écologiques, inclusifs, paritaires et ultra responsable sur le plan social. »

Le cas du président du Comité Tony Estanguet

Le 27 mars, le président du Cojop, Tony Estanguet, accompagné de Michel Cadot, délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques, était auditionné devant 80 députés à l’Assemblée nationale. Sa rémunération a déjà fait l’objet d’une enquête du Parquet national financier depuis mars dernier.

Le président du Cojop aurait en effet perçu près de 300.000 euros net par an en tant que travailleur indépendant, et ce depuis le début de l’organisation des Jeux en 2017. Sa rémunération est perçue sous forme de bénéfices non commerciaux via une société qu’il a créée. Dans l’un de ses rapports, l’AFA évoque le cas de l’entreprise de Tony Estanguet, pointant un « montage atypique dans le cadre d’une association de loi 1901 ». Selon Blandine Sorbe, ancienne magistrate à la Cour des Comptes et actuellement directrice déléguée au Cojop, il ne pouvait en être autrement : « Avoir un contrat de travail aurait créé un lien de subordination avec quelqu’un au-dessus de lui, ce qui n’a pas de sens juridiquement », a-t-elle commenté.

Un salaire justifié avec la même assurance par l’intéressé : « On a eu des échanges avec l’administration sociale et le contrôleur général et financier qui représente le ministère des finances au sein de l’association », des échanges qui ont abouti à la solution du régime « de travailleur indépendant ».

Questionnée, Amélie Oudéa-Castéra répond à nouveau à propos de la rémunération de Tony Estanguet : « C’est beaucoup, beaucoup de travail depuis des années. […] C’est énormément de travail, c’est beaucoup d’expertise, c’est beaucoup de pression, c’est beaucoup de responsabilités. »

L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris fait déjà l’objet de trois enquêtes financières distinctes, notamment pour des soupçons de favoritisme et de détournements de fonds publics lors de l’attribution des marchés.

Un contraste avec les conditions d’organisation

À côté de ce demi-milliard d’euros de dépenses, le Comité olympique va faire venir 45.000 volontaires pour garantir le bon déroulement des Jeux. Des bénévoles non payés et non logés, qui auront quand même le droit à un titre de transport (finalement), à un repas et une tenue.

Une situation qui heurte la députée député Claudia Rouaux : « Il y a 45.000 bénévoles parce que le Cojop n’avait pas, a priori, les moyens de payer trop de salariés. Les bénévoles doivent se déplacer et se loger à leurs frais. Donc ça va leur coûter de l’argent… Quand je fais le parallèle avec toutes ces rémunérations pour les organisateurs, je suis heurtée ! »

Le Cojop a aussi abandonné la promesse de la gratuité des transports pour les spectateurs, pourtant prévue dans le cahier des charges lors du dépôt des candidatures, et a récemment sollicité la région Île-de-France pour prendre en charge les déplacements des 200.000 personnes accréditées — dont les athlètes et les officiels. Un budget estimé à un peu moins de 10 millions d’euros.

Des demandes et des conditions d’exécution des Jeux pour les spectateurs, les athlètes et les bénévoles qui contrastent avec les conditions de rémunération et d’augmentation des dirigeants du Comité d’organisation des JO.

La valeur éducative de l’exemple

Selon l’économiste Wladimir Andreff, « la Cour des comptes considère clairement qu’il y a beaucoup trop de gens payés beaucoup trop cher au sein du comité d’organisation ». Le délégué interministériel aux JO, Michel Cadot, assure qu’il y a une « grande vigilance » de l’État sur le budget du Cojop et qu’il n’y a « pas de déséquilibre significatif ».

À côté des 45.000 bénévoles appelés par l’organisation, des demandes de prise en charge du déplacement des athlètes par l’argent public de la région, du prix très élevé des billets pour ce qui doit être une « fête populaire », les rémunérations des dirigeants du Comité donnent le « sentiment » d’être en décalage avec l’esprit Coubertin défendu par les Jeux : la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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