La perte de la mémoire, l’angoisse de perdre tous ses repères… Peut-on comprendre par la musique ce que vit un malade d’Alzheimer? Un artiste britannique, Leyland Kirby, a tenté l’expérience dans une série d’albums qui reproduisent l’avancée progressive d’une démence.
« J’ai lu de nombreux articles comme de nombreux livres sur cette maladie et c’est sidérant de voir à quel point elle est destructrice », expliquait en 2019 M. Kirby au site Electronic Beats.
Ce musicien britannique enregistre depuis 25 ans de nombreux disques de musique électronique, sous différents pseudonymes. Sous l’un d’eux, The Caretaker – « le Gardien », une référence au film Shining – il a plus particulièrement exploré le thème de la mémoire et, surtout, de la perte de celle-ci.
L’aboutissement de cette démarche, c’est une série de six albums, baptisée « Everywhere at the end of time » – « Partout à la fin des temps » – et achevée en 2019 par M. Kirby, qui n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.
En plus de six heures, il cherche à faire vivre de l’intérieur tout ce que subit un malade d’une démence de type Alzheimer, de ses premières pertes de mémoire à la dissolution totale de celle-ci.
A quoi peut ressembler une telle musique? M. Kirby travaille à partir de centaines d’heures d’enregistrements datant des années 1930. Ce sont pour l’essentiel des airs nostalgiques et gorgés de cordes qui résonnaient alors dans les salles de bals.
Dans les trois premiers disques de la série, la maladie est encore peu avancée et les airs sont encore reconnaissables, même s’ils sont déjà modifiés pour apparaître lointains et remplis d’échos.
Mais dans les trois derniers disques, ces mélodies sont retravaillées, fracturées et distordues à tel point qu’elles ne sont plus reconnaissables et que l’ensemble devient particulièrement inconfortable à écouter.
« Dans les trois premières étapes, il y a des épisodes où la pensée est claire tout en tournant en boucle, ce qui correspond aux premiers symptômes », détaillait M. Kirby en 2019.
« A partir de l’étape, 4, ce n’est plus possible de penser clairement, donc on en vient à une période de confusion totale », poursuivait-il. « Peut-être qu’on peut vaguement reconnaître une mélodie à l’occasion mais, pour l’essentiel, on a désormais perdu la raison. »
Effets de la musique sur le cerveau
Au-delà de sa valeur musicale, que vaut ce projet d’un point de vue clinique? Peut-on vraiment y retrouver la réalité d’une personne atteinte de démence?
« La démarche est intéressante », juge auprès de l’AFP le neuropsychologue Hervé Platel, spécialiste des effets de la musique sur le cerveau.
Certes, souligne-t-il, un tel album ne peut qu’approcher une expérience par essence inaccessible. Mais, une fois cette réserve faite, M. Platel y voit une traduction plutôt fidèle de ce que l’on sait du parcours émotionnel d’un malade d’Alzheimer ou d’une autre démence.
« De ce point de vue là, c’est plutôt bien fait et bien rendu », explique-t-il « Le sentiment qu’on peut avoir à l’écho de cette musique, c’est à la fois de l’anxiété et un sentiment dépressif. »
« Ca c’est tout à fait réel: les patients à qui on annonce une maladie neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer, ils passent par ces états émotionnels qui sont notamment produits par la destructuration de leur mémoire », poursuit M. Platel.
« Les patients conservent tout à fait leurs souvenirs musicaux »
Toutefois, l’approche de M. Kirby a ses imperfections. Elle donne, notamment, l’impression d’une dégradation totale et unilatérale de la mémoire, alors que la réalité est plus complexe.
« C’est une représentation familière où l’on imagine que c’est une maladie qui altère tous les mécanismes de mémoires (mais) ce n’est pas le cas », souligne M. Platel.
Et c’est justement la perception de la musique et son souvenir qui échappent le mieux à la perte des capacités cognitives, y compris chez des malades à un stade avancé.
Mieux, les patients sont aussi capables de retenir de nouvelles mélodies, même s’ils oublient vite le processus d’apprentissage en lui même.
« Les patients conservent tout à fait leurs souvenirs musicaux malgré l’évolution de la maladie », explique M. Platel. « Il n’y a pas de perte en fin de compte de la mémoire musicale. »
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