ENTRETIEN – Selon la Cour des comptes, les fournisseurs sur le marché de gros de l’électricité ont dégagé une marge de 42,5 milliards d’euros en 2023. Un véritable « hold-up en bande organisée » pour l’expert en politique énergétique et auteur de Guerre de l’énergie : au cœur du nouveau conflit mondial, Fabien Bouglé qui revient dans les colonnes d’Epoch Times sur les raisons qui ont permis à certains opérateurs de réaliser une telle marge. Dans cet entretien, il analyse également la condamnation d’un exploitant éolien par la cour d’appel de Rennes.
Epoch Times : Comment les fournisseurs ont-ils réussi à dégager une marge de 42,5 milliards d’euros ? Un rapport de la Cour des comptes a pointé du doigt des « mesures qui pallient imparfaitement les insuffisances de la régulation publique du marché de l’électricité ». Qu’en pensez-vous ?
Fabien Bouglé : Il faut d’abord préciser qu’ils ne sont en rien des fournisseurs d’électricité, mais plutôt des fournisseurs de factures. En France, il n’y a qu’un seul producteur et fournisseur d’électricité, c’est EDF.
En réalité, depuis la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité) et l’établissement de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), des courtiers en électricité peuvent bénéficier d’un achat de l’électricité au prix cassé de 42 euros le mégawattheure et le revendre, soit aux particuliers aux alentours de 160-180 euros le mégawattheure en faisant concurrence au prix d’EDF en le vendant moins cher, soit en le revendant directement sur le marché de l’électricité.
Avec l’explosion du prix de marché de l’électricité en 2022 et en 2023, il y a eu un différentiel considérable entre les 42 euros le mégawattheure et le prix auquel les courtiers ont pu vendre l’électricité sur le marché ou auprès de leurs clients. L’une des grandes raisons de cette marge absolument gigantesque est l’appropriation par ces producteurs de factures de la marge bénéficiaire d’EDF. C’est EDF qui aurait dû réaliser cette marge et non pas ces profiteurs.
Cette marge résulte donc d’un système établi par la France pour ne pas heurter la Commission européenne et d’une explosion du prix de marché de l’électricité due à la non-disponibilité de nos réacteurs nucléaires en 2023. Cette non-disponibilité des réacteurs a entraîné une baisse de la production nucléaire, et la part qui devait être donnée aux « producteurs de factures » a été largement augmentée, représentant environ 35 % de la production nucléaire totale d’EDF. C’est pour cela que je parle d’un hold-up en bande organisée, parce qu’il s’agit de l’argent des Français qui est ponctionné par ces opérateurs.
Le marché européen de l’électricité est régulièrement critiqué pour avoir permis à des fournisseurs de gagner beaucoup d’argent. Quel est votre avis ? Faut-il, selon vous, en sortir ?
Il est évident que l’ARENH doit être supprimé immédiatement. Et malheureusement, on n’a pas eu la force législative de le faire. Cependant, concernant le marché européen de l’électricité, je crois que la question fondamentale n’est pas de le supprimer parce que la France a des excédents à exporter.
Je suis tout à fait favorable au marché intra-européen de l’électricité. Nous pouvons très bien, par exemple, faire un accord bilatéral avec la Grande-Bretagne en fixant un prix d’échange. Et si à la fin de l’année, on a exporté plus qu’on a importé, c’est une marge pour la France. Ce qui est problématique, c’est le marché européen de l’électricité spéculatif. Il explique en partie, parmi d’autres facteurs, les marges colossales réalisées par certains opérateurs.
Pour résumer, cette marge de 42,5 milliards d’euros est due à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, mais aussi au marché spéculatif européen de l’électricité et pas au marché européen de l’électricité.
Toutefois, n’oublions pas l’impact des énergies intermittentes sur cette problématique des marges. La France a mis en place un système de subventionnement des énergies intermittentes (panneaux solaires, énergie éolienne, etc.) et quand l’électricité s’intègre dans le marché, les exploitants éoliens, quel que soit le prix de marché, touchent 91 euros le mégawattheure, y compris quand l’électricité est à des prix négatifs. Parfois, il arrive même qu’un producteur d’électricité soit obligé de payer pour liquider son électricité.
C’est en partie dû à l’excroissance des énergies intermittentes dans le réseau. Quand vous avez trop d’énergies intermittentes dans le réseau, les subventions aux exploitants éoliens viennent alourdir la marge réalisée globalement par lesdits fournisseurs alternatifs. Les éoliennes jouent donc aussi leur rôle dans ce système.
Le 12 mars dernier, on apprenait que la cour d’appel de Rennes condamnait la société éolienne Fp Lux Wind pour troubles anormaux du voisinage et demandait à indemniser 13 riverains pour les pertes de valeur de leurs maisons. Une indemnité représentant au total 633.400 euros. Cette condamnation constitue-t-elle une première ? Peut-on parler de tournant au sujet des éoliennes ? Le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a récemment annoncé l’arrêt total des investissements éoliens dans sa région. Il y a quelques mois, un ancien directeur de communauté de communes des Hauts-de-France faisait part à Epoch Times de sa déception concernant ces infrastructures, les qualifiant d’« arnaque du siècle ». Comment voyez-vous évoluer la situation ?
J’alerte sur la problématique des éoliennes depuis presque quinze ans et on va dire que depuis la sortie de mon livre Éoliennes, la face noire de la transition écologique en octobre 2019, il y a eu énormément d’alertes et d’avertissements en France sur le danger des éoliennes. Des alertes sur la dimension financière comme je viens de l’évoquer, mais également en matière d’impact sur le cadre de vie de nos concitoyens.
La multiplication des éoliennes a aussi entraîné une forme de résistance citoyenne. Il y a de plus en plus d’associations qui luttent contre la pollution des éoliennes et la justice prend désormais en compte l’impact que peuvent avoir ces infrastructures sur nos cadres de vie. En 2019, il y a eu une commission d’enquête à l’Assemblée nationale sur l’impact des éoliennes, même si elle a été un peu occultée par la crise sanitaire.
Cette décision de la cour d’appel de Rennes n’est pas tout à fait la première. La première condamnation pour troubles anormaux de voisinage a été rendue à Toulouse en 2021. Elle concernait des personnes qui avaient dû déménager après l’installation d’éoliennes.
La cour d’appel de Toulouse avait reconnu le syndrome éolien et avait également demandé qu’une indemnité liée à ces troubles soit versée. Là où la décision de la cour d’appel de Rennes est tout à fait novatrice, c’est qu’elle condamne l’exploitant éolien pour troubles anormaux de voisinage en prenant en considération la perte de valeur des biens immobiliers situés à côté des éoliennes avec un montant de plus de 630.000 euros de dommages et intérêts.
Cette décision est donc très importante parce qu’elle peut faire jurisprudence dans la France entière. Pour rappel, il y a dans notre pays 9.000 éoliennes.
Pour autant, nos dirigeants ne semblent pas prêts d’abandonner l’éolien. Au mois de novembre, Emmanuel Macron annonçait le lancement d’un appel d’offres en 2025 pour l’installation de parcs éoliens offshore…
L’éolien terrestre et l’éolien offshore sont deux débats différents. L’offshore ne concerne pas les mêmes opérateurs et n’impacte pas les mêmes personnes. Néanmoins, pour une raison qui est précisée dans mon livre, je reste résolument hostile à tous les parcs éoliens, qu’ils soient terrestres ou offshore.
En effet, l’installation d’éoliennes n’a que pour objectif d’affaiblir notre système électrique avec des énergies intermittentes, ce qui entraîne une fragilisation de notre économie parce qu’elles nous rendent dépendants du gaz naturel liquéfié américain ou du gaz russe.
Voilà pourquoi, à titre personnel, je lutte contre la centrale éolienne prévue entre les îles d’Yeu et Noirmoutier.
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