Un nouvel éclairage sur les premiers peuplements préhistoriques en Europe

17 mars 2018 12:33 Mis à jour: 18 mars 2018 02:25

Une densité exceptionnellement élevée de bifaces géants datés entre 200 000 et 300 000 ans a été découverte sur un site archéologique en Galice, au nord-ouest de l’Espagne. Les résultats sont présentés dans un nouvel article publié dans le journal Scientific Reports par notre équipe de recherche internationale d’archéologues et de géochronologues (spécialistes en datation).

Cette découverte indique que différents types de technologies d’outils en pierre (ou industrie lithique) étaient utilisés simultanément en Europe de l’Ouest, et en particulier au sein de la péninsule Ibérique, suggérant ainsi la possibilité d’une coexistence entre différentes populations dans cette région au moment de l’émergence des Néandertaliens en Europe.

Des preuves supplémentaires proviennent de l’étude des fossiles. Jusqu’à très récemment, le peuplement humain de l’Europe au cours du Pléistocène moyen (période géologique entre 780 000 ans et 125 000 ans) était généralement considéré comme étant relativement simple avec l’évolution linéaire d’une lignée unique débouchant sur les Néandertaliens. Cependant, plusieurs travaux ont récemment mis à mal ce modèle et ont au contraire mis en évidence la grande variabilité morphologique des fossiles humains trouvés en Europe durant cette période, ouvrant la possibilité d’un scénario beaucoup plus complexe qu’imaginé jusqu’à présent).

Bifaces. Les grands outils sont compatibles avec une culture acheuléenne. (Eduardo Méndez-Quintas, Author provided)

Technologie lithique

Découvert en 2005, le gisement de Porto Maior est situé près de la ville de As Neves en Galice. L’assemblage lithique a été trouvé au sein de dépôts sédimentaires fluviaux associés à la terrasse alluviale située 34 mètres au-dessus du niveau actuel de la rivière Miño, qui marque la frontière entre le nord du Portugal et l’Espagne.

Le site archéologique de Porto Maior témoigne d’une industrie lithique connue sous le nom d’Acheuléen. Cette technologie a été décrite pour la première fois au cours du XIXe siècle sur le site de Saint Acheul, dans la Somme. Elle est caractérisée notamment par la présence d’outils taillés dont les bifaces sont les représentants les plus connus.

Tandis que les sites acheuléens sont largement répandus à travers le continent, Porto Maior représente la première accumulation importante d’outils à grand tranchant (large cutting tools en anglais, ou LCT) en Europe dans la tradition acheuléenne. Jusqu’à présent, de telles densités de LCTs n’avaient été trouvées qu’en Afrique. Cette nouvelle découverte renforce l’hypothèse d’une origine africaine de l’Acheuléen en Europe et confirme que plusieurs types de technologies lithiques étaient employées sur le continent au cours du Pléistocène moyen.


Photogrammétrie d’un biface du site de Porto Maior ; cliquez et laissez appuyer pour faire tourner.


À peu près à la même époque où des bifaces étaient utilisés à Porto Maior, d’autres assemblages lithiques témoignent de l’utilisation d’une technologie différente (attribuée au Paléolithique moyen ancien) était présente dans la région ibérique, par exemple à Ambrona et Cuesta de la Bajada. En Europe centrale et orientale, la tradition acheuléenne n’a jamais été retrouvée.

Porto Maior introduit une complexité supplémentaire au modèle de peuplement prehistorique généralement accepté et suggère que des populations humaines distinctes et d’origines géographiques différentes coexistèrent durant le Pléistocène moyen.

Des outils coupant en pagaille

Les campagnes de fouilles archéologiques successives dirigées par l’archéologue espagnol Eduardo Méndez-Quintas ont permis de mettre au jour un total de 3 698 objets, dont 290 constituaient le matériel d’étude de notre étude. L’assemblage d’outils en pierre est composé de 101 LCTs en position d’origine, d’une longueur moyenne de 18 cm et d’une longueur maximale de 27 cm. Ces dimensions sont exceptionnellement grandes par rapport aux normes européennes acheuléennes (typiquement seulement 8 à 15 cm de long). L’assemblage contient également de gros hachereaux, un type d’outil généralement trouvé dans les sites africains.


Modèle de photogrammétrie 3D de l’excavation de Porto Maior ; cliquez et maintenez pour faire pivoter.


Avec 9,5 pièces par m2 dans une zone fouillée de plus de 11,8 m2, la densité de l’accumulation d’outils acheuléens est l’une des plus élevées au monde, surpassant les précédentes découvertes européennes (généralement moins de 3 objets par m2).

Les analyses de laboratoire indiquent que les outils ont été utilisés pour traiter des matériaux durs tels que le bois et les os, dans des activités qui auraient pu inclure la fragmentation des carcasses.

Le site espagnol de Porto Maior ressemble clairement à de vastes accumulations de très gros outils que l’on ne connaissait auparavant qu’en Afrique et au Proche-Orient.

Ils soulèvent également de nouvelles questions concernant l’origine et la mobilité des populations humaines préhistoriques – les ancêtres des Néandertaliens – qui ont occupé le continent européen au cours du Pléistocène moyen avant l’arrivée de notre propre espèce, Homo sapiens.

Dater les outils

L’âge de ces outils à Porto Maior a été déterminé à l’aide de deux méthodes de datation différentes : la datation par luminescence stimulée par infrarouge (pIR-IRSL) des grains de feldspath potassique et la datation par résonance électronique des grains de quartz.

Ces techniques permettent de déterminer la dernière fois que les grains de sable dans les sédiments ont été exposés à la lumière du soleil, en examinant leurs propriétés luminescentes ou paramagnétiques – c’est-à-dire qu’ils peuvent nous indiquer la durée de l’enfouissement des sédiments. Ceci, à son tour, peut être utilisé pour déterminer quand le site a été occupé pour la dernière fois et quand les artefacts préhistoriques ont ensuite été enterrés par l’accumulation de sédiments.

Les échantillons de datation par luminescence sont mesurés dans des conditions d’éclairage contrôlées au Laboratoire de Luminescence de l’environnement de l’Université d’Adélaïde. (Lee Arnold)

Dans l’étude de Porto Maior, les datations pIR-IRSL et ESR ont été appliquées à des grains soigneusement collectés dans les couches de sédiments contenant les outils en pierre, sans exposer l’échantillon à la lumière du jour.

Les deux méthodes, appliquées indépendamment dans deux institutions australiennes différentes (University of Adelaide et Griffith University), ont produit des âges remarquablement similaires.

Cela confirme la fiabilité des résultats de datation, et indique que les niveaux archéologiques couvrent la période de 200 000 à 300 000 ans.

De l’Afrique au monde

Cette technologie a été décrite pour la première fois au cours du XIXe siècle sur le site de Saint Acheul, dans la Somme. Elle est apparue il y a environ 1,7 million d’années en Afrique de l’Est. Par comparaison, les traces les plus anciennes en Europe sont beaucoup plus récentes et sont situées aux environs de 1 million d’années, dont certaines sont sujettes à débat. À partir de 600-700 000 ans, le nombre de sites acheuléen identifiés en Europe augmente de manière significative (voir par exemple le site de La Noira, France).

Les outils acheuléens dans leur position d’origine à Porto Maior, Espagne.
(Eduardo Mendez-Quintas, CC BY)

L’âge de Porto Maior est cohérent avec les découvertes précédentes dans la péninsule ibérique qui suggèrent que la culture acheuléenne a connu une expansion dans la région entre 400 000 et 200 000 ans.

Cette dernière découverte renforce l’idée d’un peuplement préhistorique de l’Europe plus complexe qu’imaginé jusqu’à présent; à savoir la possibilité que des groupes humains d’origines et de stades évolutifs potentiellement différents aient pu coexister à travers le continent à une époque où émergent les Néandertaliens.

Martina Demuro, ARC DECRA Research Fellow, University of Adelaide; Lee Arnold, ARC Future Fellow, University of Adelaide et Mathieu Duval, ARC Future Fellow, Griffith University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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