La rhétorique est généralement défini comme étant un discours ou un écrit destiné à persuader les autres. Mais certaines sources sur internet y ajoute parfois un sens secondaire, et parlent de discours et écrits grandiloquents ou sentimentaux, souvent trompeurs à force de trop vouloir persuader. « Il nous embobine », pourrait-on dire au sujet d’un homme politique. « Ce n’est que du vent, de la rhétorique. »
Si on pose la question aux gens autour de nous, peu seront capable de définir le concept de rhétorique, et encore moins d’expliquer pourquoi ou comment elle mérite d’être étudiée. Il serait malvenu de les blâmer car à l’exception des élèves qui suivent leur scolarité à domicile plutôt que dans des écoles, et de certaines académies ou univesrités d’arts classiques, la plupart des gens ne sont pas exposés au concept de rhétorique ni à son utilité.
Il n’en a pas toujours été ainsi. De la Grèce antique aux premières années du XXe siècle, la rhétorique faisait partie de l’enseignement normal, au même titre que la géométrie ou la littérature. La capacité à défendre une cause, à manier sa langue natale avec habileté et puissance à l’écrit, sur une estrade ou même dans une conversation, et l’aptitude à divertir et à éclairer ses auditeurs étaient considérées comme la marque d’un homme ou d’une femme cultivé(e).
Petite histoire de la rhétorique
Dans un monde sans électronique ni imprimerie, la capacité à bien parler – pour convaincre un jury, s’adresser à une assemblée de concitoyens, pousser des soldats à la guerre, faire l’éloge d’un ami, et bien d’autres choses encore – était considérée comme un élément essentiel de l’éducation d’une jeune personne.
Dans la Grèce antique, en particulier à Athènes, les sophistes ont commencé à enseigner la rhétorique aux jeunes, en mettant l’accent sur l’art de gagner un argument grâce à un langage émotionnel et manipulateur, parfois au détriment de la vérité. Dégoûté par ces pratiques, et peut-être pour en redorer le blason, Aristote rédigea « L’art de la rhétorique », un guide qui a influencé l’art oratoire occidental pendant les deux millénaires qui ont suivi et qui, aujourd’hui encore, reste une référence incontournable en la matière. Il y présente un système de méthodes de persuasion, par exemple associer la logique au sentiment ou utiliser différents procédés rhétoriques qui ajoutent de la prouesse et de la beauté à un argument. Plus important encore, Aristote s’oppose aux sophistes en soutenant que la vérité, ou du moins la recherche de la vérité, est la pierre angulaire de la rhétorique.
Les Romains, notamment Cicéron et Quintilien, ont étudié le traité d’Aristote puis ont eux-mêmes rédigé des guides de rhétorique. Quintilien, par exemple, a mis au point un système de cinq canons de rhétorique, qui permet aux étudiants de développer leurs sujets et leurs arguments, de les mémoriser et finalement de faire leur discours. Comme Aristote et Cicéron, ses idées et ses écrits ont été étudiés et diffusés pendant des siècles après sa mort. Les théologiens du Moyen Âge, Augustin et Thomas d’Aquin, étaient tous deux bien au fait des outils et des usages de la rhétorique, bien que ce soit chez Augustin qu’on les trouve le plus souvent, Thomas d’Aquin préférant examiner les croyances chrétiennes de manière systématique.
Une pierre angulaire des arts dits libéraux
L’invention de l’imprimante a donné du pouvoir à la rhétorique, en vertue de son pouvoir de composition et d’éloquence. Par le biais de placards, de manifestes ou de livres, les écrivains exigeants pouvaient promouvoir des idées qui dépassaient la portée et le pouvoir des discours oraux, par définition éphémères. De Martin Luther à John Locke et Thomas Jefferson, une quantité de philosophes et de penseurs ont utilisé des procédés rhétoriques dans leurs écrits.
Cet intérêt pour la rhétorique a façonné les arts libéraux tels que nous les concevons aujourd’hui. Dès l’Antiquité, les professeurs de rhétorique encourageaient l’étude de la poésie, de la langue et de l’histoire, non seulement comme des sujets à part entière, mais aussi comme des domaines fertiles où glaner des idées à débattre et à discuter. Du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, toutes ces matières occupaient une place centrale dans la plupart des universités européennes et américaines, et un intérêt tout particulier était donné à la rhétorique. Le pouvoir qu’apporte l’enseignement de la rhétorique est perceptible dans beaucoup d’oeuvres de l’époque. Abigail Adams, par exemple, l’épouse du deuxième président américain, a souvent regretté ne pas mieux maîtrser son latin et son grec, poutant sa correspondance est remplie de procédés rhétoriques et de références à la mythologie, à l’histoire et à la littérature. Abraham Lincoln n’a pas reçu d’éducation formelle à proprement parler et, bien que les historiens évoquent souvent ses nombreuses lectures de la Bible et de Shakespeare, les livres de grammaire (qu’il apprenait parfois par cœur dans sa jeunesse) ont également contribué à développer ses compétences en matière de composition.
C’est pour ces raisons que la rhétorique a longtemps été connue comme la « reine des arts libéraux » et, comme l’a déclaré Richard Weaver, « la plus humaniste de toutes les disciplines ».
Une rhétorique responsable
Richard Weaver (1910-1963), un historien et intellectuel américain qui a enseigné l’anglais et la rhétorique à l’université de Chicago, insistait sur l’enseignement de la rhétorique en composition dès la première année à l’université.
Dans un discours prononcé juste avant sa mort, intitulé « Language Is Sermonic », il déplore le triste état de l’enseignement de la rhétorique à l’époque moderne. En plus d’appeller à un renouveau de la rhétorique, il veut qu’elle soit éthique : il ne doit pas s’agir uniquement d’apprendre à utiliser des techniques dans ses discours et ses écrits, mais il faut développer également une stratégie qui d’une façon ou d’une autre tend vers la vérité. Il nous met également en garde contre les dangers des orateurs ou des écrivains qui nous guident vers l’erreur. « Comme la rhétorique nous confronte à des choix de valeurs, » dit-il, « le rhéteur est pour nous un prédicateur, noble s’il essaie d’orienter notre passion vers des fins nobles et vil s’il utilise notre passion pour nous embrouiller et nous dégrader. »
Dans un discours prononcé en 1955, intitulé « Une rhétorique responsable », Weaver développe sa vision d’une manière moins technique. Il y déclare sans ambages : « Une rhétorique responsable, telle que je la conçois, est une rhétorique responsable avant tout de [défendre] la vérité. » Il donne ensuite des exemples de ce qui se passe lorsque cette responsabilité est ignorée ou délibérément éludée.
Aujourd’hui, la dissertation en cinq paragraphes avec sa thèse, ses trois arguments de soutien et une conclusion reprenant la thèse – une forme encore enseignée dans certaines salles de classe – est un fragment de l’époque où la rhétorique, la logique et la grammaire siégeaient dans la haute cour des arts du langage.
Les dommages causés
Par sa définition même, l’art de la persuasion, la rhétorique, nous accompagne partout. Après tout, que sont les publicités si ce n’est des incitations à acheter une certaine marque de savon ou une nouvelle voiture ? Un employeur réunit ses vendeurs et les exhorte à vendre plus de produits, en leur donnant des raisons et des conseils pour augmenter les ventes. À leur tour, ils téléphonent à leurs contacts et tentent de conclure une vente. C’est de la rhétorique, mais elle est inférieure à celle défendue par Richard Weaver et tant d’autres.
Pourtant, c’est la forme que nous voyons aujourd’hui dans la politique. Les personnes qui se présentent aux élections ou qui occupent un poste sont souvent des panneaux publicitaires ambulants et parlants, composés de slogans et d’extraits sonores, alors que les faits et la vérité sont souvent dissimulés aux yeux du public.
En outre, ceux qui n’ont pas été formés à la rhétorique ne sont pas toujours en mesure de déceler les sophismes et les mensonges dans les positions prises par les personnes en position d’autorité. Dans « Pourquoi étudier la rhétorique ? » Trent Leach, professeur dans une école latine de Topeka, au Kansas, est très clair : « Si j’utilise mal la grammaire, je fais de mauvaises phrases. Si j’utilise mal la logique, je fais de mauvais arguments. Mais si j’utilise mal la rhétorique, j’utilise les gens et je les entraîne dans toutes sortes d’erreurs ».
Un espoir à l’horizon
Dans « Classical Rhetoric 101 : An Introduction », Kate et Brett McKay, qui dirigent le site web The Art of Manliness, vont dans le même sens quand ils écrivent que l’étude de la rhétorique fait de vous un meilleur citoyen, capable de discerner les propositions fallacieuses qui se présentent inévitablement à vous, et ils concluent que la connaissance de la rhétorique « protège du despotisme intellectuel ». Ils insistent également sur les aspects positifs de cet art qu’est la persuasion dans nos relations quotidiennes avec nos employeurs, nos amis, nos enfants, etc.
À une époque qui se qualifie elle-même d' »ère de la communication », la rhétorique mérite une place de choix dans les programmes scolaires de base, et de nombreuses écoles, dont la plupart s’inspirent de l’enseignement classique, s’efforcent de la rétablir. Si leurs efforts finissent par porter leurs fruits, en produisant de plus en plus de jeunes formés à cette discipline, alors notre pays et notre culture s’en trouveront grandement améliorés.
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