JOHANNESBURG – C’est l’hiver en Afrique du Sud, en 1993, et les gros titres font le tour du monde : la conflagration raciale tant attendue est sur le point d’éclater dans un pays qui vit les derniers soubresauts de l’apartheid.
Un suprémaciste blanc polonais, aux cheveux blonds et aux yeux bleu acier, a tiré une volée de balles sur le dirigeant du Parti communiste sud-africain, Chris Hani, héros du mouvement de résistance anti-apartheid.
Des émeutes éclatent dans tout le pays, les townships sont en flammes. Les coups de fusil et les explosions de bombes à essence sont les sons d’une « nouvelle » Afrique du Sud, apparemment mort-née, sur le point de plonger dans l’abîme.
Des membres de groupes extrémistes blancs et noirs attaquent des cibles avec des bombes et des fusils automatiques. Aucun lieu n’est sacro-saint – des églises et des bars fréquentés par les Blancs aux minibus-taxis transportant les ouvriers noirs.
Le pays est exsangue et assoiffé de sang.
Les équipes politiques qui tentent de conduire l’Afrique du Sud vers un semblant de démocratie constitutionnelle, menées par Nelson Mandela du Congrès national africain (ANC) et le président F.W. de Klerk du Parti national (NP), sont à couteaux tirés, incapables de s’entendre sur les termes d’une dispense censée unir les citoyens noirs et blancs.
La province montagneuse et luxuriante du KwaZulu-Natal est un champ de bataille, jonché des corps de milliers d' »impi » (guerriers, en nguni) de l’ANC et de l’Inkatha Freedom Party (IFP), qui luttent pour l’hégémonie dans la deuxième région la plus peuplée d’Afrique du Sud.
Peter Mokaba, 34 ans, leader de la Ligue de la jeunesse de l’ANC, attise les flammes avec une chanson zouloue intitulée « Dubula Ibhunu » (Tuez le Boer, ou l’Afrikaner blanc) et son refrain « Tuez le fermier [blanc] ! Tirez pour tuer ! »
La police de l’apartheid a arrêté le pyromane en 1982 pour des délits liés à ses activités clandestines en tant que membre du groupe paramilitaire de l’ANC, Umkhonto we Sizwe (Lance de la nation).
M. Mokaba a été reconnu coupable d’avoir possédé des armes et d’avoir suivi un entraînement militaire au Mozambique et en Angola. Il a été condamné à six ans de prison à Robben Island, mais a été libéré au bout d’un an, après avoir fait appel.
Cela a soulevé des questions à l’époque, étant donné que de tels appels par des membres connus d’Umkhonto étaient extrêmement rares.
M. Mokaba a poursuivi ses activités de guérilla jusqu’à ce que M. De Klerk libère M. Mandela et lève l’interdiction de l’ANC en 1990.
Plusieurs accusations ont été portées contre M. Mokaba en rapport avec ces crimes présumés, mais il a toujours été acquitté et a été élu au comité exécutif national de l’ANC en 1991.
Lorsque l’apartheid a pris fin à la suite des premières élections multiraciales en 1994, l’Afrique du Sud ayant évité une véritable guerre civile fondée sur la race, M. Mandela a nommé M. Mokaba ministre adjoint au sein du gouvernement de l’ANC après la victoire du parti aux élections.
Moins de dix ans plus tard, M. Mokaba est mort. Selon son médecin, il avait succombé à une « pneumonie aiguë ». Or, beaucoup, même au sein de l’ANC, ont affirmé qu’il avait été victime d’un VIH non traité.
M. Mokaba, tout comme l’ancien président Thabo Mbeki, était un négationniste du sida. Selon lui, les médicaments antirétroviraux ne présentaient aucun avantage « en dehors des profits de l’industrie pharmaceutique ».
M. Mokaba disait souvent à ses partisans que le VIH et le sida étaient des « éléments clés d’un complot occidental » visant à « éliminer » les Noirs et à « reprendre le contrôle colonial » de l’Afrique.
D’anciens agents de sécurité de l’apartheid ont affirmé que M. Mokaba n’a pas passé beaucoup de temps en prison parce qu’il était un espion du gouvernement de l’apartheid.
Cette affirmation a été démentie par M. Mokaba et par l’ANC.
« Peter Mokaba sera toujours mon héros de tous les temps. Je l’ai rencontré à de nombreuses reprises. Je dirais même que j’ai été son élève. Il est originaire de la même région que moi dans la province de Limpopo », a déclaré Julius Malema, chef des Combattants pour la liberté économique (Economic Freedom Fighters, EFF), le troisième plus grand parti politique d’Afrique du Sud.
« J’ai calqué ma carrière politique sur celles de Peter Mokaba et du président Robert Mugabe », a-t-il déclaré à Epoch Times, en référence à l’ancien président du Zimbabwe. Ce dernier est surtout connu pour avoir saisi des terres appartenant à des fermiers blancs dans les années 2000 et pour avoir plongé son pays dans la famine et l’effondrement économique.
Trente ans après que Peter Mokaba a scandé pour la première fois « Tuez le fermier! Tuez le boer », Julius Malema fait revivre ce chant. Avec ses 100.000 partisans, la plupart vêtus de combinaisons et de bérets rouges, c’est ce qu’il a chanté lors d’un rassemblement du parti dans un stade de Soweto, la vaste township située près de Johannesburg, le 29 juillet.
Le lendemain, un fermier blanc a été retrouvé matraqué à mort dans sa propriété dans la province de Mpumalanga, dans le nord-est du pays.
Le 2 août, un groupe de fermiers blancs a tenté d’accéder au siège de l’EFF dans le centre de Johannesburg. Toutefois, ils ont été repoussés par une foule beaucoup plus nombreuse de partisans de l’EFF, dont certains brandissaient des fouets et des gourdins en criant : « Nous allons vous tuer! « Nous allons vous tuer! »
Certains membres de l’EFF ont donné des coups de pied et de poing aux Blancs. Les fermiers n’ont pas riposté et ont quitté la zone. Aucun blessé grave n’a été signalé.
Les hommes blancs, qui ont refusé de donner leur nom, ont par la suite déclaré à Epoch Times qu’ils voulaient parler à M. Malema pour « clarifier » si le fait qu’il ait chanté à plusieurs reprises la chanson « Kill the Boer » appelait au meurtre des Blancs.
Le leader de l’EFF a refusé de les rencontrer, mais s’est ensuite adressé aux médias.
« Ce n’est pas ici que nous avons peur d’un homme blanc ! a déclaré Julius Malema. « C’est la seule zone libérée d’Afrique du Sud. Aucun homme blanc ne vient prendre des risques ici. Nous avons tout ce qu’il faut pour défendre ce bureau, et nous le défendrons au péril de notre vie. »
Des groupes de la société civile ont exprimé leur inquiétude face à ces violences, estimant qu’elles rappelaient l’époque de l’apartheid. Certains ont également critiqué Malema pour avoir continué à chanter une chanson qui pourrait être interprétée comme l’instigation à une guerre civile fondée sur la race.
En 2003, la Commission sud-africaine des droits de l’homme a déclaré que la chanson était un discours de haine. Plusieurs groupes de défense des droits civils ont poursuivi l’ANC et l’EFF en justice pour tenter d’empêcher leurs membres de la chanter, dans un contexte où le taux de criminalité violente du pays est l’un des plus élevés au monde et où des milliers de fermiers blancs ont été assassinés au cours des trois dernières décennies.
Or, les partisans de l’EFF et de l’ANC ont continué à la chanter, sans aucune répercussion.
La chanson a fait l’objet d’une affaire récente devant la Cour de l’égalité d’Afrique du Sud (South Africa’s Equality Court), qui a déclaré qu’elle n’était pas en mesure d’établir un lien entre les meurtres de Blancs et la chanson.
M. Malema a déclaré que cette décision était adéquate, car le chant était « symbolique » de la lutte des Noirs contre la suprématie blanche et n’avait pas de sens littéral.
« Je chanterai cette chanson quand j’en aurai envie. Ce n’est pas ma chanson, c’est une chanson de lutte », a-t-il déclaré aux journalistes. « C’est mon droit de chanter cette chanson historique. Elle fait partie de l’histoire de la lutte contre l’apartheid et personne n’interférera avec mon héritage africain. »
Interrogé par Epoch Times pour savoir s’il utilisait cette chanson pour inciter les citoyens noirs à assassiner leurs compatriotes blancs, M. Malema a répondu : « Je n’ai pas besoin de vous expliquer, mais j’ai déjà dit que cette chanson était symbolique. »
« Elle ne doit pas être prise au pied de la lettre. Mais si elle fait peur à nos ennemis, tant mieux! »
« L’EFF ne croit pas en la violence, mais nous n’avons pas non plus peur de défendre notre peuple. »
« J’ai déjà dit que tous les Sud-Africains avaient leur place dans notre pays, à condition qu’ils acceptent que ce n’est pas l’Europe, mais l’Afrique. C’est l’Afrique, et ils doivent être prêts à connaître leur place, sinon ils doivent retourner en Europe. »
La défiance de M. Malema a incité le député de l’opposition, Pieter Groenewald, à déposer une nouvelle plainte auprès de la Commission des droits de l’homme.
« Mon parti, le Freedom Front Plus, a également déposé une plainte pénale en vertu de la loi sur les émeutes, qui stipule très clairement que personne n’est autorisé à inciter à la violence. »
« Il doit y avoir une enquête de la police, puis elle doit être transmise à l’Autorité nationale des poursuites, qui doit décider si des poursuites doivent être engagées ou non », a déclaré M. Groenewald à Epoch Times.
M. Malema a accusé M. Groenewald, un Afrikaner blanc, d' »étroitesse d’esprit et de pure politique politicienne ».
Or, selon les détracteurs du « commandant en chef » de l’EFF, c’est exactement ce que ce dernier fait.
En effet, une fois de plus, l’Afrique du Sud est à l’aube d’une élection nationale, qui pourrait voir l’ANC tomber sous le seuil requis de 50% plus un qui lui permettrait de continuer à jouir du pouvoir absolu qu’il détient depuis avril 1994.
Si le vote se déroule comme le prévoient les sondages, la démarche la plus logique de l’ANC serait de former un gouvernement de coalition avec l’EFF afin de conserver le pouvoir.
« Si cela se produit, l’ANC devra évidemment accepter au moins certaines des politiques de l’EFF, ce qui est une perspective vraiment terrifiante pour l’Afrique du Sud », a déclaré le professeur Susan Booysen, de l’école de gouvernance de l’université de Wits, à Johannesburg.
Les politiques de l’EFF comprennent la « nationalisation » de toutes les terres et de tous les biens en Afrique du Sud, « en vue d’une redistribution à la majorité noire », la nationalisation des banques et autres institutions financières et la fin du « contrôle de l’économie par les capitalistes monopolistiques blancs ».
Les membres de l’EFF ont souvent été violents depuis la création du parti en 2013, attaquant des opposants et agressant des journalistes.
Le 2 août, le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA), a porté plainte devant le Conseil national des droits de l’homme des Nations Unies contre l’EFF et l’ANC en raison de la dernière utilisation par M. Malema de la chanson « Kill the Farmer, Kill the Boer » (Tuez le fermier, tuez le Boer).
John Steenhuisen, leader de la DA, a déclaré à Epoch Times que les autorités sud-africaines étaient « clairement incapables, ou peu désireuses » d’empêcher l’EFF de « ressusciter les démons de la violence ethnique et de la haine raciale ».
« Un dirigeant politique qui incite au meurtre de masse n’est pas normal. Un membre du parlement qui appelle au meurtre de toute une partie de la société n’est pas normal. »
« Il n’est pas normal que des politiciens lâches ferment les yeux sur l’incitation à la guerre civile », a-t-il déclaré.
« Le premier élément de notre dossier devant les Nations unies portera sur l’incitation répétée de Julius Malema à la violence ethnique. »
« Le second élément accusera le gouvernement national de l’ANC de ne pas avoir agi pendant des années contre son ancien protégé, alors même que les meurtres brutaux dans les fermes continuent de se multiplier dans le sillage de la démagogie de Malema ».
Hennie Strydom, professeur de politique à l’université de Johannesburg, a déclaré à Epoch Times qu’il serait « tout à fait possible » que les Nations Unies envoient une équipe pour enquêter sur les accusations de la DA et décider si l’EFF et l’ANC devraient être poursuivis en vertu du droit international.
« Mon opinion est qu’il ne devrait pas y avoir de place dans une société démocratique pour une chanson qui incite à la violence contre quelqu’un, quelle que soit sa race, sa religion, etc. Que se passerait-il si les Blancs se mettaient soudain à chanter une chanson appelant au meurtre des Noirs ? » a demandé Mme Strydom.
« Cette affaire aurait dû être réglée depuis longtemps. Elle n’est pas propice à une coexistence pacifique. Elle provoque beaucoup de frictions et je pense qu’il est temps de la régler une fois pour toutes. »
« L’accusation portée par la DA devant les Nations Unies est un moyen d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le fait qu’il existe un problème en Afrique du Sud, un problème dangereux qui pourrait se transformer en crise si nous n’agissons pas rapidement. »
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