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« Une culture quasi-mafieuse » : de « puissants consiglieri » dominent la Commission von der Leyen, selon la Médiatrice européenne

décembre 23, 2024 15:12, Last Updated: décembre 23, 2024 15:12
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Emily O’Reilly s’apprête à tirer sa révérence, non sans manquer d’adresser quelques dernières critiques acerbes à Ursula von der Leyen sur son manque de transparence. Invitée du podcast EU Confidential sur Politico, la Médiatrice européenne, qui a mainte fois ferraillé contre la Commission, a dénoncé vendredi une « culture quasi-mafieuse » à sa tête, selon les termes employés par le média américain. Durant son mandat, l’Ombudsman, qui, quelques jours plus tôt, a mis en garde contre les « vents politiques » menaçant son administration, s’est particulièrement illustré pour son rôle clé dans l’affaire surnommée « Pfizergate ».

Emily O’Reilly, dont le second mandat quinquennal s’achèvera fin février, s’est livrée au micro de Politico ce 20 décembre. L’occasion pour la Médiatrice européenne de livrer ses ultimes vérités avec une tempérance calculée. Derrière l’apparente retenue de la critique globale se dévoile, par intermittence, des jugements féroces : ainsi finit-elle par souffler n’avoir « jamais été à l’aise » avec les « puissants consiglieri » qui siègent au sein du cabinet de la présidente de la Commission. Des déclarations qui ont de quoi interpeller venant de la directrice de l’instance responsable du contrôle de la bonne administration des institutions de l’Union européenne : le terme « consiglieri », d’origine italienne, désigne les conseillers de confiance du chef de la mafia.

Une mentalité du secret contraire aux principes européens

« La culture vient toujours d’en haut. La présidente de la Commission, c’est elle qui donne le ton », a soutenu Emily O’Reilly, dénonçant l’opacité grandissante de l’institution : « Si des informations ne sont pas divulgués pour des raisons politiques et que la culture vient d’en haut, alors oui, c’est probablement la présidente et son cabinet qui en sont responsables ». Une tendance qu’elle a qualifiée « d’inquiétante » : « Imaginez la frustration ressentie après avoir passé des mois à traiter une demande d’accès à des documents, en citant la législation européenne, pour essuyer malgré tout un “non“ ».

Ursula von der Leyen, qu’O’Reilly a indiqué n’avoir jamais rencontrée ne serait-ce qu’une seule fois durant l’exercice de ses fonctions, sera toutefois bientôt délestée d’une de ses critiques les plus assidues. Le 17 décembre, les eurodéputés se sont réunis en séance plénière à Strasbourg pour élire le successeur du Médiateur européen, appelé aussi Ombudsman.

Pour remplacer l’Irlandaise, le Parlement, dominé par le Parti populaire européen (PPE), a élu par bulletins secrets la Portugaise Teresa Anjinho. Un choix qui n’est pas sans provoquer quelques réactions d’incrédulité : l’ancienne députée a été membre du Parti populaire, lui-même affilié au PPE auquel appartient Ursula von der Leyen. Teresa Anjinho assure avoir néanmoins rompu tout lien avec le mouvement.

« Cependant, il n’est pas anodin que le PPE et ses alliés aient porté leur choix sur une ancienne politicienne plutôt que sur l’un des quatre candidats dépourvus d’attaches partisanes. Il serait surprenant de la voir afficher la même intransigeance qu’O’Reilly face au “Pfizergate“ de von der Leyen et à d’autres dossiers clés », écrit le European Conservative. Cette intransigeance, marque de fabrique des deux mandats d’Emily O’Reilly, la Commission européenne et sa présidente en ont fait les frais.

Pfizergate, catalyseur d’un déficit démocratique

Le Médiateur européen enquête sur les cas de « mauvaise administration » au sein des institutions de l’Union européenne, soit de sa propre initiative, soit à la suite d’une plainte. Si une mauvaise gestion, un abus de pouvoir, ou une violation des droits est constatée, l’instance formule des recommandations, mais ne dispose pas de pouvoirs coercitifs : à ce titre, elle ne peut infliger de sanctions. Mais provoquer une couverture médiatique qui fait mauvaise figure, certainement. C’est ainsi qu’Ursula von der Leyen s’est retrouvé piégée dans une tourmente revenant ponctuellement la hanter : la fameuse affaire des SMS susmentionnée.

Le 28 avril 2021, le New York Times révélait qu’elle avait négocié directement par SMS avec Albert Bourla, le patron de Pfizer, un contrat de 1,8 milliard de doses de vaccin contre le Covid, pour la modique somme de 35 milliards d’euros. Désireux de connaitre leur contenu, Alexander Fanta, alors journaliste pour le site Netzpolitik, avait déposé, le 4 mai 2021, une demande d’accès de documents auprès de la plateforme AsktheEU.org.

Le 21 juillet 2021, il s’était vu répondre par la Commission qu’aucun « document » de ce genre n’avait pu être identifié, puisque les SMS « étaient des conversations éphémères qui n’étaient pas considérées comme des documents UE ». Ce dernier avait alors déposé une plainte auprès du Médiateur européen, donnant lieu à une enquête ouverte le 16 septembre 2021.

Verdict : le 28 janvier 2022, l’instance a conclu à un cas de mauvaise administration. Pour Emily O’Reilly, les textos « entrent dans le cadre de la législation européenne sur l’accès du public aux documents » et « le public peut y avoir accès s’ils concernent le travail de l’institution ». Aussi, elle a demandé à la Commission d’exiger du cabinet d’Ursula von der Leyen qu’il recherche les messages en question et, en cas d’identification, de les examiner pour déterminer s’ils « remplissent les critères, en vertu de la législation de l’UE sur l’accès aux documents, pour être divulgués ». En vain.

Le 14 juillet 2022, dans un communiqué de presse lapidaire, la directrice de l’instance était donc montée au créneau. Dans sa réponse du 27 juin 2022, Věra Jourová (alors commissaire européenne chargée des Valeurs et de la Transparence), « ne répond pas à la question simple visant à savoir si les messages textes existent », sans non plus indiquer « si elle avait recherché directement et correctement les textos et, si cela n’a pas été le cas, pourquoi ». Et d’enfoncer le clou : « Le traitement de cette demande d’accès à des documents laisse la regrettable impression d’une institution européenne qui n’est pas franche sur des questions d’intérêt public majeures ».

L’institution, précise l’Ombudsman dans sa décision, a finalement admis que les SMS remplissent les critères pour être considérés comme des documents de l’UE au sens de la législation européenne (Règlement 1049/2001). Pourtant, « la Commission n’a toujours pas donné les raisons qui l’empêcheraient d’effectuer une recherche complète de ces messages texte ». Si la décision de mauvaise administration a été confirmée, l’enquête a été close, le Médiateur européen ne disposant pas de pouvoir de sanction.

L’exécutif européen a « violé les principes de bonne administration »

L’affaire aurait pu en rester là. Mais le 25 janvier 2023, rebondissement : le New York Times saisit la justice pour obliger la Commission à divulguer les messages, déposant dans cette optique une requête auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Le 15 novembre 2024, soit près de deux années plus tard, les deux parties ont enfin été entendues.

Selon l’avocat de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen « n’a pas négocié les conditions du contrat par SMS » avec Albert Bourla : « Il y a eu des échanges par SMS pour organiser des échanges oraux. On ne négocie pas in extenso par SMS ». Il a aussi fait valoir que le cabinet d’Ursula von der Leyen a informé les services de la Commission en 2022 être « incapables de retrouver ces documents ». De quoi étayer le soupçon soulevé dans la décision d’O’Reilly, qui se demandait si la Commission avait recherché directement les textos.

La Commission a « violé les principes de bonne administration », a pour sa part étrillé l’avocate du Times, Bondine Kloostra, rappelant que l’exécutif européen avait déjà révélé encourager ses membres à activer les messages éphémères dans leurs discussions. « Cette affaire soulève une question très importante : est-ce que les responsables peuvent échapper à la transparence publique en échangeant par SMS ? »

Lors de cette audience, les juges du tribunal de l’UE ont ressenti « de la frustration », a rapporté Emily O’Reilly durant son interview chez Politico : « On cherche à savoir si la présidente de la Commission a échangé des messages texte, et si c’est le cas, ce qu’ils contiennent. Donc il faudrait poser la question à la présidente von der Leyen. Mais la seule personne qui aurait pu tout nous dire… n’était pas présente. Il y avait les avocats de la Commission, mais ils ne pouvaient pas vraiment apporter d’éclaircissements supplémentaires ».

À ses yeux, le verdict dans cette affaire revêt une importance cruciale pour s’assurer que l’État de droit soit respecté par l’administration européenne : « Car même lorsque nous rappelons à la Commission les arrêts de la Cour de justice concernant l’accès à certains documents, cela ne mène à rien. Nos sollicitations sont tout simplement ignorées », réitère-t-elle auprès de Politico, sans être néanmoins assurée que la Commission, en cas de victoire du Times, ne modifierait pour autant son attitude.

« Des temps très difficiles » à venir

La décision de justice ne sera pas rendue avant plusieurs semaines, peut-être même plusieurs mois. D’ici là, Emily O’Reilly aura peut-être quitté son poste. Quelle qu’en soit l’issue, son successeur sera confronté à des « temps très difficiles », a-t-elle anticipé dans un discours du 13 décembre dans la ville symbolique de Maastricht aux Pays-Bas, quatre jours avant l’élection de son remplaçant au Parlement.

« Au cours de mon mandat, la Commission est passée d’une Commission à ce qui est désormais une soi-disant Commission géopolitique auto-proclamée. Je ne suis pas certaine de saisir la nature de ce changement, puisqu’il n’y a eu aucune modification des traités entre la Commission Barroso et la Commission von der Leyen. Ce que je sais en revanche, c’est que des décisions d’une importance capitale ont été prises, et continueront de l’être. »

C’est donc au nouveau Médiateur qu’incombera la tâche de poursuivre la lutte contre la réticence d’une institution à rendre des comptes sur ses décisions : « L’accès aux documents est soumis à un contrôle plus rigide que jamais, avec des demandes d’accès à des documents prétendument politiquement sensibles qui sont soit systématiquement retardées pendant des délais déraisonnables, soit rejetées pour des motifs hautement douteux ». Sinon ignorées.

Avant d’asséner : « Il ne suffit pas que les dirigeants politiques clament leur fidélité à la démocratie et à l’État de droit, ils doivent en faire la preuve par leur conduite et leurs actions, jour après jour. » Une pique réprobatrice destinée, de manière à peine voilée, à la cheffe de Bruxelles. Emily O’Reilly, qui a rappelé l’indispensable indépendance de son administration face « aux vents politiques qui menacent parfois de la détourner de son chemin », quittera ses fonctions le 27 février.

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