Les dispositions philosophiques se cultivent mieux avec des instruments de travail appropriés. La récente Encyclopédie philosophique, accessible sur Internet, souhaite y concourir autant qu’il se peut. Sa finalité est de fournir aux étudiants et enseignants de philosophie, mais aussi au « grand public cultivé », des connaissances philosophiques et des instruments pour la réflexion philosophique.
Le lecteur y trouvera des articles sur des notions, des problèmes philosophiques et des auteurs : exposé des distinctions fondamentales, aperçu des thèses soutenues, examen des arguments, bibliographies contemporaines. Cependant les articles font appel aux auteurs de la tradition et discutent les doctrines classiques. Cette encyclopédie suppose une certaine culture philosophique, mais elle permet aussi de l’acquérir, de l’affermir ou de la développer.
Faire comprendre
L’intention n’est pas de vulgariser la discipline, pas plus que de participer aux débats journalistiques sur les sujets d’actualité. L’encyclopédie n’est pas un prolongement, en ligne, de ce que certains attendent des cafés philosophiques. Elle ne concurrence pas non plus les magazines, émissions de radio et de télévision qui, ces derniers temps, se proposent de rendre accessible la philosophie, mais délestée de sa lourdeur académique supposée – y aurait-il une philosophie légère comme on parle de musique légère ?
Elle ne cherche pas à être plus conviviale, populaire ou ludique que ne le sont habituellement les travaux des universitaires, mais à les faire comprendre, y compris quand ils sont pointus. Dans cette encyclopédie, l’accessibilité de la pensée philosophique contemporaine résulte d’un effort de clarté et de rigueur des auteurs, et non d’une prétendue démocratisation, surtout si elle devait conduire à renoncer aux arguments charpentés, au travail exigeant de clarification conceptuelle et aux références savantes indispensables.
Quels précédents ?
Pour comprendre ce que L’Encyclopédie philosophique apporte de neuf, il faut examiner les projets du même genre. En 1989, les Presses Universitaires de France publièrent l’Encyclopédie philosophique universelle, sous la direction d’André Jacob, Sylvain Auroux et Jean‑François Mattéi, en quatre volumes. Il s’agissait de synthétiser, pour un public francophone, les connaissances en philosophie. Mais qui se rend encore en bibliothèque pour la consulter ?
L’[Encyclopédia Universalis](https://www.puf.com/collections/Encyclop%C3%A9die_philosophique_universelle), quant à elle, propose des articles philosophiques numériques de qualité – mais il faut payer pour lire les contenus. Wikipedia permet la consultation gratuite d’articles sur des sujets philosophiques. Malheureusement, la qualité intellectuelle et pédagogique des articles y est incontrôlable et, à l’usage, fort inégale. Quant à la confiance qu’on peut accorder à la rectification collaboratrice de Wikipédia, elle est souvent mise en défaut.
En langue anglaise, la situation est certes bien meilleure. Il y eut d’abord, dans les années soixante, la remarquable Encyclopedia of Philosophy de Paul Edwards. Elle mérite toujours qu’on la consulte. Aujourd’hui, en ligne, on trouve une Internet Encyclopedia of Philosophy, et surtout la Stanford Encyclopedia of Philosophy, à la fois numérique, gratuite et de qualité. Ces deux encyclopédies philosophiques en ligne sont hélas peu connues en France, même des étudiants en philosophie, normalement les premiers concernés ; et, bien sûr, il existe un obstacle linguistique à leur consultation par le lecteur français. Dans la Stanford Encyclopedia, les articles, souvent longs et parfois techniques, requièrent un important bagage philosophique – ce qui cependant ne retire rien à sa valeur et à son utilité comme instrument de travail. Toutefois, passer de ce que les journaux, radio et télévision, en France, appellent « philosophie » à l’Internet Encyclopedia of Philosophy ou à la Stanford Encyclopedia of Philosophy, c’est un changement d’univers, si ce n’est un choc mental. Il ne sera peut-être pas moins grand avec L’Enclyclopédie philosophique. Mais c’est aussi tout son intérêt.
Exigence de sérieux
Partant de ce constat, le projet d’une encyclopédie de philosophie en langue française a ainsi été remis à plat, ses contenus sont renouvelés et l’exigence de sérieux universitaire confirmée. Maxime Kristanek, jeune professeur de philosophie en lycée, est à l’origine du projet. Il coordonne une équipe de 315 professeurs et chercheurs en philosophie, qui a déjà rédigé 150 articles, consultables en ligne. 200 autres ont été commandés par les éditeurs, et environ 10 nouveaux articles sont mis sur le site tous les deux mois.
L’Encyclopédie philosophique a un comité éditorial et un comité de lecture – principalement constitué d’enseignants et de chercheurs en philosophie – qui examine les articles avant publication. Il fonctionne selon la méthode de la recension par les pairsL’Encyclopédie philosophique est aussi dotée d’un comité scientifique qui garantit le sérieux général du projet en conseillant les membres du comité éditorial dans le choix des entrées et des auteurs.
Deux formats différents
Elle comprend des articles « grand public », de format court, et rédigés d’une manière immédiatement compréhensible sans formation importante en philosophie. Les articles « Académiques » diffusent quant à eux l’état des questions dans la recherche philosophique internationale auprès des étudiants, des enseignants de philosophie ou d’autres disciplines, et aussi de tous ceux qui ont un solide appétit philosophique. Il faut insister sur le rôle que devrait jouer cette encyclopédie pour la diffusion d’une philosophie argumentative, rigoureuse et précise, parfois même technique, quand c’est utile, faisant la part belle aux problématiques discutées dans la vie internationale de la philosophie.
Prenons un exemple. L’article « Théorie de l’erreur morale » s’ouvre ainsi : « Vous pensez que la peine de mort est injuste et le viol immoral, que le courage est une vertu et l’obscénité un vice, qu’il faut respecter son père et s’abstenir de frapper ses enfants ? D’après la théorie de l’erreur morale, vous vous trompez. Plus généralement, les théoriciens de l’erreur soutiennent que tous les jugements moraux sont faux. » Cela ne donne-t-il pas envie de lire la suite, et d’examiner si cette manière de présenter les choses ne souffriraient pas de certains « biais cognitifs » ?
Qui se lève un matin en se demandant ce qu’est le plaisir, en quoi consiste une raison suffisante, ou comment il reconnaîtra un zombie s’il vient à en croiser, trouvera un article « Grand Public », parfaitement sérieux, à lire en cinq ou quinze minutes, avant même d’entamer sa journée. S’il se demande pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ou ce que Guillaume d’Ockham ou Henri Poincaré ont vraiment dit, ce sera tout de même un peu plus long : les articles « Académiques » sur la création, le Venerabilis Inceptor ou l’un des plus grands philosophes français lui feront passer une très bonne soirée. La consultation est de toute façon possible toute la journée et même la nuit !
Roger Pouivet, Professeur à l’Université de Lorraine (Laboratoire d’Histoire des Sciences et de Philosophie Archives Henri-Poincaré), Membre de l’Institut Universitaire de France, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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