La Suède et la Finlande veulent mettre fin à leur neutralité et rejoindre l’OTAN, très bien. Joe Biden veut apparemment engager les forces militaires américaines dans la défense de Taïwan, parfait.
Tout cela est bien beau, mais, pour l’heure, Biden n’a pas réussi à dissuader la Russie d’envahir l’Ukraine. Il ne s’est pas non plus engagé à assurer le réarmement nécessaire pour soutenir l’élargissement de l’OTAN, ce réarmement pourtant indispensable pour gagner une guerre contre les forces conventionnelles et nucléaires combinées de la Chine et de la Russie.
Le 24 mai, alors que Biden participait à une réunion du Quad à Tokyo (États‑Unis, Australie, Inde et Japon), lui et les autres dirigeants présents ont bien reçu le message nucléaire « conjoint » lancé par Poutine et Xi Jinping.
Le jour même de la réunion, quatre bombardiers Xian H‑6K des forces aériennes de l’Armée populaire de libération et deux bombardiers Tupolev Tu‑95MS de l’armée de l’air russe ont décidé d’effectuer le quatrième exercice conjoint de bombardement Chine‑Russie depuis 2019. Pour marquer le coup, ils ont survolé la mer du Japon sans manquer de faire une longue déviation au sud du détroit de Miyako vers une région située à l’est de Taïwan. Une zone hautement stratégique, puisqu’à partir de là, ils pourraient lancer des missiles de croisière, dotés d’armes nucléaires éventuellement, contre Taïwan et les bases américaines de Guam.
Les bombardiers H‑6K des forces aériennes chinoises sont armés de six missiles de croisière d’attaque terrestre (LACM) CJ‑20 à guidage de précision d’une portée de 1500 km, qui peuvent être armés d’une ogive tactique à charge nucléaire ou conventionnelle. Au total, l’APL possède environ 125 bombardiers H‑6K/J/N qui peuvent potentiellement lancer des salves de 750 LACM CJ‑20.
Les bombardiers russes Tu‑95MS, qui ont probablement décollé de la base aérienne d’Ukrainka dans l’Oblast de l’Amour, sont les dernières versions construites dans les années 1980 d’un bombardier quadrimoteur à turbopropulseurs mis en service pour la première fois en 1956. La Russie en possède aujourd’hui une soixantaine.
La plupart d’entre eux transportent seize LACM Kh‑55 d’une portée de 2400 km ou huit LACM Kh‑101 d’une portée de 2900 km qui peuvent être armés d’ogives nucléaires.
La Chine et la Russie ont organisé des exercices conjoints de bombardement en 2019, 2020 et 2021. Ce dernier exercice s’est démarqué par l’excursion distincte d’un bombardier russe volant vers l’ouest, simulant probablement des frappes nucléaires contre les bases américaines en Alaska et les sous‑marins à missiles nucléaires stratégiques de la marine américaine basés près de Seattle.
Ces exercices de bombardement sino‑russes sont peut‑être les signes les plus visibles de l’intention de la Russie de soutenir la Chine si elle cherchait à imposer un blocus, voire à envahir Taïwan.
Lorsque la Russie a envoyé des forces pour participer à des exercices interarmées à grande échelle en Chine en août 2021, l’APL a enseigné aux troupes russes à conduire les chars à roues ZTL‑11 des forces terrestres de l’APL qui devraient être utilisés en cas d’invasion de Taïwan.
En outre, ces exercices de bombardement sino‑russes sont l’indicateur le plus visible du fait que les deux puissances sont engagées à un certain degré déjà dans une coordination nucléaire offensive.
Des exercices conjoints avec des bombardiers à capacité nucléaire utilisés pour menacer les dirigeants du Quad, avec un président américain en voyage à l’étranger à ce moment‑là, indiquent une possible coordination sino‑russe pour d’autres armes nucléaires offensives comme les missiles balistiques à portée intermédiaire et intercontinentale.
La coordination sino‑russe des armes nucléaires offensives est également attestée par sept années de coopération en matière de défense antimissile nucléaire. En 2016, 2017 et 2019, la Chine et la Russie ont organisé des simulations de défense antimissile au niveau du poste de commandement.
Selon le rapport d’une source russe, ces exercices consistaient à coordonner des systèmes antimissiles à courte portée comme le S‑400 russe et le HQ‑9 chinois. Néanmoins, les deux armées développent des systèmes antimissiles destinés à intercepter des missiles nucléaires de portée moyenne ou intercontinentale.
Un rapport russe du 20 novembre 2020 de l’analyste Alexander Korolev a relevé une observation du ministère chinois de la Défense sur l’exercice de défense antimissile de 2017 : « La tâche principale était ‘d’élaborer une planification conjointe des opérations de combat au niveau des défenses antimissiles aériennes, de l’opération et de l’appui‑feu mutuel’. »
L’ « appui‑feu mutuel » comprendrait‑il la coordination de missiles balistiques de théâtre, intercontinentaux ou de missiles de croisière, tous dotés de têtes nucléaires ?
Le 3 octobre 2019, Poutine a ensuite annoncé que la Russie aidait la Chine à développer un système d’alerte avancé contre les missiles stratégiques. Il a déclaré : « C’est quelque chose de très sérieux, ce qui va fondamentalement, drastiquement muscler la défense de la République populaire. »
Pour l’heure, on ne peut réellement déterminer l’ampleur de l’aide que la Russie fournit à la Chine dans le développement de ses capacités d’alerte contre les missiles à longue portée. Toutefois, selon certaines sources russes, plusieurs fabricants de radars ont été engagés pour élaborer des programmes informatiques. Selon d’autres rumeurs, la Russie aurait proposé une technologie d’alerte précoce basée sur des radars à très longue portée et des satellites.
Le rapport de novembre 2020 note d’autres avantages que présente l’aide de la Russie à la Chine en matière de défense antimissile :
« Cela ouvre la voie à l’intégration des systèmes d’alerte précoce chinois et russes. Lorsque les stations d’alerte russes et chinoises auront fusionné en un seul complexe, les deux pays pourront être avertis plus rapidement d’une attaque potentielle de missiles et l’intercepter… Cette intégration des systèmes d’alerte précoce des deux pays facilitera la convergence des stratégies de défense des deux pays, ce qui aboutira à l’élaboration d’une politique de défense commune. »
Si les systèmes d’alerte précoce et de défense antimissile russes et chinois devaient fusionner pour former un seul complexe, la coordination des opérations nucléaires offensives s’en trouverait facilitée, y compris, éventuellement, une première frappe nucléaire majeure contre les États‑Unis.
Une menace potentielle offensive nucléaire sino‑russe mérite d’être envisagée plus sérieusement alors que la Chine avance extrêmement vite pour parvenir à la supériorité nucléaire sur les États‑Unis.
Alors que la communauté américaine du renseignement a estimé que la Chine pourrait disposer de 1000 têtes nucléaires d’ici 2030, le décompte simple de 360 nouveaux silos de missiles balistiques intercontinentaux équipés de missiles balistiques intercontinentaux dérivés du DF‑41 capables de stocker 10 têtes, auquel s’ajoute la production estimée de missiles tirés par des sous‑marins, permet de penser que la Chine pourra disposer de plus de 4000 têtes en 2030.
À cela s’ajoutent les quelque 1500 ogives nucléaires stratégiques actuellement recensées par la Russie, ses 2000 à 10.000 armes nucléaires à moyenne portée et l’augmentation des stocks nucléaires russes après l’expiration, en 2026, du traité de limitation nucléaire New START (Strategic Arms Reduction Treaty) conclu entre les États‑Unis et la Russie en 2010.
Une des premières décisions stratégiques de Biden a été de prolonger New START, bloquant le nombre d’ogives nucléaires stratégiques américaines à environ 1550. L’administration Biden vient de supprimer une arme nucléaire à moyenne portée viable et très utile, le Sea Launched Cruise Missile (SLCM‑N), un missile de croisière mer‑sol nucléaire.
Supposons que Biden soit sérieux quant à la défense de Taïwan et des alliés militaires des États‑Unis en Asie. Dans ce cas, il est indispensable que les États‑Unis répondent à la menace que représente la coordination nucléaire entre la Chine et la Russie. C’est essentiel pour une « dissuasion américaine étendue » qui soit cohérente et protège les alliés des États‑Unis tout en empêchant la Chine et la Russie de déclencher une guerre à Taïwan.
Washington devrait abandonner dès maintenant New START et remettre à leur place les ogives supprimées des missiles stratégiques américains à cause du traité, ce qui permettrait aux États‑Unis de disposer de plus de 3000 ogives.
Les États‑Unis devraient alors augmenter le nombre de leurs têtes nucléaires stratégiques et équiper d’ogives nucléaires tactiques une certaine proportion de leurs nouveaux missiles balistiques de portée courte, moyenne et intermédiaire et les missiles de croisière avec des ogives nucléaires tactiques.
Par ailleurs, pour mieux faire face aux défis posés par l’escalade nucléaire russe et chinoise, les États‑Unis devraient relancer leurs anciennes capacités datant de la guerre froide, les obus d’artillerie nucléaire tactique à faible rendement et les déployer avec des unités de l’armée et de la marine.
En dernier lieu, une dissuasion garantie contre les menaces nucléaires combinées de la Chine et de la Russie et/ou de la Corée du Nord exige que les États‑Unis partagent certaines technologies de dissuasion nucléaire avec le Japon, la Corée du Sud et l’Australie – un précédent déjà créé par la coopération entre les États‑Unis et le Royaume‑Uni en matière d’armes nucléaires.
Une capacité nucléaire défensive et offensive coordonnée entre la Chine et la Russie constituerait la plus grande menace de tous les temps pour les États‑Unis et les démocraties alliées. Par conséquent, il est impératif de se préparer à un renforcement nucléaire américain rapide et décisif pour maintenir la dissuasion.
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