La RATP et un sous-traitant ont-ils exposé des ouvriers voire des usagers à l’amiante ? Une juge d’instruction enquête depuis octobre après la plainte d’un ouvrier qui estime avoir été mis en danger pendant 20 ans lors de travaux nocturnes de réfection des stations du métro parisien.
Depuis le 12 octobre, une information judiciaire au pôle santé publique du Tribunal judiciaire de Paris est ouverte pour « mise en danger d’autrui » et « emploi de travailleur dont l’activité l’expose aux rayonnements ionisants sans évaluation des risques conforme » ni « respect des règles de prévention », a confirmé le parquet de Paris à l’AFP.
En 2014, l’Institut français de veille sanitaire évoquait 100.000 morts possibles d’ici 2050. Principale inquiétude de Pascal, la présence de fibres d’amiante sur son bleu de travail, « lavé avec les affaires des enfants ». « Je me dis, je les ai peut-être tués indirectement sans le savoir », ajoute-t-il, les larmes aux yeux. D’après lui, certains de ses collègues « ne sont pas bien. Ils ont peur. Ils savent ».
Des « nuages de poussière » contenant de l’amiante
Pascal (prénom modifié), embauché chez ERI en 2001 et en arrêt de travail depuis 2020, a été entendu début décembre. Début février, cet ouvrier de 39 ans devenu chef d’équipe a raconté à l’AFP son travail nocturne sur le réseau électrique des emblématiques stations : « On casse tout à la masse et au burin, on enlève tout ce qui est ancien câbles, ancien appareillage, armoires électriques, puis on repasse tout à neuf ». Il affirme avoir travaillé peu ou prou sans équipement de protection respiratoire pendant 20 ans, et n’avoir été informé de la présence d’amiante dans les réseaux électriques du métro qu’il démantibulait que fin 2015. Malgré l’apparition cette année-là du « risque amiante » sur sa fiche de poste, l’équipement de protection complet continue selon lui à être rarissime, et aucune mesure de confinement des zones sous travaux n’est mise en place.
Racontant être, pour une fois, équipé de la tête aux pieds lors d’un chantier à la station Réaumur-Sébastopol fin juin 2017, Pascal décrit sa surprise : « On lève une plaque. Je demande où est l’amiante. On me désigne un trou, que j’avais moi-même cassé au marteau sans aucune protection » plusieurs années auparavant. Il dit alors se « rendre compte » que « tout ce qu’on cassait », parfois « à la main et en t-shirt », depuis des années dans des « nuages de poussière », contenait de l’amiante. Un syndrome anxiodépressif lui a depuis été diagnostiqué. « Je ne dors plus, je ne mange plus, je suis devenu l’ombre de moi-même. » S’il n’a pas développé à ce stade d’affection, il sait que cette fibre isolante, massivement utilisée dans la construction avant d’être interdite en France en 1997, est une bombe à retardement, facteur de cancers du poumon ou de la plèvre longtemps après l’exposition.
Respect ou non des obligations de l’employeur
Son avocate, Me Leila Messaoudi, avait déposé une première plainte pénale en 2021, évoquée par Le Parisien. Elle accuse la RATP et ERI de ne pas avoir respecté leurs « obligations extrêmement précises » en matière d’amiante, dont les employeurs doivent démontrer l’application. « Si ça n’a pas été fait, ils ne vont pas pouvoir le prouver », assure-t-elle. Elle s’inquiète aussi d’un risque pour les usagers du métro, relevant que la SNCF avait elle fermé trois mois en 2018 une station de RER pour des travaux liés à la présence d’amiante.
Outre la procédure pénale, Pascal demande vendredi après-midi au tribunal des prud’hommes de Créteil la résiliation judiciaire de son contrat et l’indemnisation de son préjudice.
Contacté par l’AFP, François Lhoutellier, président d’ERI, a répondu que son groupe basé dans le Val-de-Marne, au chiffre d’affaires de 145 millions d’euros en 2021, « a toujours respecté les dispositions du code du travail ». Il a défendu des « formations adaptées », un « suivi par la médecine du travail » ainsi que des « équipements de sécurité appropriés ». La RATP a indiqué à l’AFP n’avoir « pas connaissance à ce stade » de cette procédure, ajoutant que « les interventions de maintenance sur ces matériaux se font conformément à la réglementation concernant la prévention du risque amiante ».
ERI et RATP évoquent des contrôles de terrain stricts et réguliers du second sur ces points. Me Messaoudi, elle, juge que les sous-traitants sont les « grands oubliés » : ils « n’ont pas accès à la base intranet » d’information sur l’amiante déployée par la RATP « et n’ont pas la protection » pour leur santé prévue par un accord syndical signé en 2006 par la régie.
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