En 1987 le rapport Brundtland définit le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».
Toutes les disciplines scientifiques se sont emparées de cette définition. Les chercheurs se sont attachés à comprendre, dans leur domaine d’expertise (écologie, sciences de la terre, économie, etc..), les processus et les déterminants qui contribuent au développement durable. En dépit d’une abondante production de connaissances de qualité, une approche en silo, cantonnée dans chacun de ces domaines scientifiques ne pouvait pleinement apporter des solutions adaptées aux besoins du présent et du futur.
Les années 2000 ont été une période charnière. Elles ont vu émerger l’importance de mieux comprendre la dynamique des interactions entre sociétés et écosystèmes planétaires pour pleinement répondre aux besoins du présent et anticiper les évolutions futures.
Vingt-huit ans après le rapport Brundtland, les Objectifs du développement durable (ODD), adoptés par les Nations unies fin 2015, ont fixé un nouveau cadre politique. Dix-sept objectifs, 169 cibles sont l’illustration de l’ambition affichée.
Quelle place pour les sciences ?
Ce cadre politique pose la question de la place de la connaissance, et en particulier de la connaissance scientifique, dans cet agenda. Oui la connaissance scientifique doit s’organiser pour alimenter les décisions politiques. La connaissance scientifique doit également apporter une expertise critique des actions pour atteindre ces ODD.
Elle doit éclairer les synergies, mais aussi les contradictions potentielles, dans la mise en œuvre de ces différents ODD. Par exemple doubler, en 2030, la production agricole (ODD 2, Cible 2.3) ne doit pas se faire au détriment d’une gestion durable des ressources naturelles (ODD 12 ; cible12.2) et/ou au prix d’une dégradation des terres aggravée (ODD15 : cible 15.3).
Contrairement à ce qui s’est produit entre 2000 et 2015, le progrès dans la lutte contre la pauvreté absolue (ODD 1) doit cesser de se faire au prix d’une aggravation sans précédent des inégalités entre les groupes sociaux à l’intérieur de chaque pays, dont la réduction fait justement l’objet de l’ODD 10.
Pour une science du développement durable (sustainability science) la communauté scientifique ne doit pas rester enfermée dans le traditionnel débat « science fondamentale versus science appliquée », et construire ce que certains auteurs ont appelé un « nouveau contrat social pour la science » : une science qui se mobilise pour se mettre au service des problèmes que rencontre la société, et produire les technologies qui permettent un développement durable.
Pour y parvenir, science fondamentale et science appliquée ne doivent pas s’exclure, mais s’alimenter. Elles sont les « deux faces d’une même pièce ». Le quadrant de Pasteur illustre cette nécessaire complémentarité entre les développements de la science fondamentale productrice de connaissances « génériques » et ceux de la science appliquée productrice de réponse immédiate à des besoins du moment.
La réponse aux besoins du présent et du futur doit se construire sur des évidences scientifiques génériques. C’est la voie à suivre pour comprendre les mécanismes d’interactions entre nature et sociétés, entre les échelles globales et locales.
Vers un champ scientifique interdisciplinaire
La nécessité d’un nouveau champ scientifique interdisciplinaire est reconnue depuis les années 2000 comme prioritaire par la prestigieuse National Academy of Sciences des États-Unis. Elle définit cette « sustainability science » comme s’intéressant aux dynamiques temporelles et spatiales des systèmes complexes et se focalisant sur les interactions entre sociétés et environnements. Elle incite les scientifiques à rapprocher leurs connaissances des savoirs des autres acteurs du développement.
Le besoin de promouvoir une science interdisciplinaire n’est pas nouveau. Les analyses des conditions du succès (et des échecs) de sa mise en œuvre sont légion :
- des postures disciplinaires ressenties comme une prise de pouvoir de certains domaines scientifiques sur d’autres
- des attitudes de tolérance des chercheurs de ces différents domaines
- la reconnaissance mutuelle des enjeux d’une coopération bénéfique à tous les acteurs.
Il y a, dans ce dernier scénario, une évolution des frontières des domaines scientifiques qui peuvent s’inter-féconder. Cependant, il est nécessaire de faire un pas de plus pour dépasser la simple relecture des questions de recherche proposées par chacune des disciplines.
Il s’agit bien d’une nécessaire révision des concepts et des théories (pas uniquement une revisite des questions de recherche). Cette démarche implique une reconnaissance commune et partagée du problème que la science interdisciplinaire souhaite adresser. Il faut créer les conditions qui permettent d’intégrer dans une nouvelle « dimension » différents concepts, théories et méthodologies. Au-delà, cela implique d’élargir la démarche en tenant compte des évolutions sociétales et de ses besoins. Il s’agit donc d’associer les acteurs non académiques impliqués dans le développement durable. L’ancrage dans les territoires (sur le terrain) doit ainsi permettre de conjuguer le développement de fronts de science (générique) et la reconnaissance des problèmes auxquels font face les sociétés dans leur quotidien et dans leur environnement.
Pour la première fois de son histoire, l’assemblée générale des Nations unies a préféré confier, plutôt qu’aux agences onusiennes elles-mêmes, à un groupe de scientifiques indépendants l’évaluation critique des ODD, de façon à faire échapper celle-ci aux habituelles négociations et compromis inter-pays qui caractérisent les institutions multilatérales.
Le premier de ces rapports quadriennaux dits GSDR (pour « Global Sustainable Development Report »), qui se renouvelleront régulièrement jusqu’à l’horizon 2030 fixé aux ODD, est prévu pour septembre 2019. Dans le contexte actuel de crise du multilatéralisme et de l’ordre international, il constitue une rare opportunité pour l’évidence et la rationalité scientifiques d’influencer dans le bon sens les politiques publiques. Encore faut-il que la communauté scientifique sache accélérer ses propres évolutions indispensables pour peser sur les trajectoires effectives de développement tant dans les pays avancés que dans le reste du monde.
La seconde édition de l’école d’été des ODD, organisée par l’IRD et Aix-Marseille Université, du 2 au 7 juillet à Marseille a été l’occasion de débattre de ces enjeux.
Jean-Luc Chotte, Directeur de Recherche, Directeur de la Mission pour la Promotion de l’interdisciplinarité et de l’intersectorialité, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Jean-Paul Moatti, Président-directeur général, Institut de recherche pour le développement (IRD)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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