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Ursula Gauthier : « Je suis devenue une sorte d’ennemi public n°1 »

janvier 3, 2016 2:18, Last Updated: février 25, 2016 17:43
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Quand un régime autoritaire prend pour cible un journaliste, c’est que bien souvent celui-ci est tout près de la vérité. Et à voir les moyens déployés par les autorités chinoises pour expulser Ursula Gauthier, correspondante de L’Obs et du Monde en Chine, on peut sans trop de risque penser que la journaliste française a effectivement bien fait son travail.

Ce vendredi 1er janvier, Ursula Gauthier était de retour à Paris, après que les autorités chinoises ont refusé de renouveler son visa. La journaliste révèle avoir subi des pressions de Pékin au sujet d’un article dans lequel elle dénonce la récupération des attentats récents de Paris par les médias d’État chinois. Son expulsion a été dénoncée par une partie de la presse française et soulève certaines inquiétudes sur le traitement des journalistes étrangers en Chine et sur le silence du gouvernement français.

Les faits

Après les attentats de Paris, beaucoup de média de différents pays ont publié des articles sur le terrorisme soutenant la position française. La Chine n’a pas fait exception. Mais le message était quelque peu différent : les autorités ont jugé bon de faire la liaison entre Daesh et les Ouïghours, une minorité ethnique musulmane et turcophone, en évoquant un attentat qui s’était déroulé un mois plus tôt dans une mine. L’attaque en question n’avait jusqu’alors pas été relayée dans les médias chinois. Et pour cause : d’après Mme Gauthier, « ce n’était certainement pas un attentat terroriste ».

Mme Gauthier connaît très bien la Chine, elle y séjourne depuis 1999. Elle se rend fréquemment au Xinjiang et au Tibet, régions dans lesquelles le régime fait face à des protestations récurrentes de Tibétains et de Ouïghours qui tentent de survivre et de préserver leur culture.

Ces régions sont la plupart du temps désertées par les reporters tant chinois qu’étrangers. Ceux qui s’y aventurent sont pris en filature par des policiers en civil, pour se voir, dans la plupart des cas, expulsés. Ursula Gauthier, qui parle couramment chinois, a pu jusqu’ici passer entre les mailles de la surveillance chinoise, en se passant des traducteurs chinois, qui doivent rendre des comptes aux autorités et dissuadent généralement les reporters de faire leur travail.

« Personne ne sait vraiment ce qui se passe non plus dans la Région autonome du Tibet, car les reporters ne peuvent y exercer librement leur métier, en particulier depuis de sanglantes émeutes survenues en 2008 », indique L’Obs.

Mme Gauthier a ainsi rapporté que « la politique d’assimilation forcée de Pékin visant 10 millions de Ouïghours, surtout dans les domaines culturel, religieux et linguistique, est en partie responsable des attaques sanglantes, à caractère terroriste pour certaines, dont les Han (ethnie majoritaire en Chine) et des officiels chinois ont été la cible ces dernières années ».

« Méthodes de la pègre »

D’après L’Obs, la suite est « digne d’un roman de Franz Kafka ». Les médias d’État chinois ont sévèrement critiqué Mme Gauthier dès la parution de son article. « Depuis longtemps, Ursula Gauthier a toujours fait preuve de partialité politique sur la Chine, et publie souvent des articles sans fondements », pouvait-on lire dans Chine Nouvelle. « Je suis devenue une sorte d’ennemi public n°1 », déplore la journaliste.

Les médias d’État ne se sont pas contentés de critiquer Ursula Gauthier. Ils lui ont prêté des propos qui n’étaient pas les siens, la dépeignant comme une figure faisant l’apologie du terrorisme. Ils ont exigé d’elle qu’elle se rétractate et fasse des excuses publiques. De quoi rappeler l’époque maoïste où les intellectuels devaient lire leur autocritique en public et subir le courroux du peuple. La journaliste indique avoir également reçu des menaces de mort sur sa page Facebook. Les correspondants étrangers de Pékin étaient « tous choqués », rapporte la journaliste française, qui a pu rencontrer des confrères avant son départ.

Pour la presse d’État chinoise, il s’agit principalement de faire un exemple et d’envoyer un message aux correspondants étrangers sur place.Un autre incident, proche de celui de Mme Gauthier, se rappelle à notre esprit. Cyril Payen, correspondant de France 24 à Bangkok, a réussi à s’introduire au Tibet en 2013 pour tourner un reportage, « Sept jours au Tibet ». Ce dernier dénonçait une situation similaire à celle rapportée par Mme Gauthier, à savoir une assimilation culturelle contrainte des Tibétains accompagnée d’une répression féroce de toute rébellion. Dans son reportage, il indiquait que le « génocide culturel tibétain » dénoncé par le dalaï lama en 2008 était « toujours en marche ».

Le 4 juin, soit quatre jours après la diffusion du reportage, Cyril Payen recevait un coup de fil d’une diplomate chinoise qui, d’après lui, a clairement joué la carte de l’intimidation. « Elle m’a demandé de me rendre à l’ambassade pour m’expliquer sur les raisons des « mensonges »que j’ai colportés dans mon reportage. Elle a fini par me menacer : « Si vous ne vous rendez pas à l’ambassade avant le 11 juin, il faudra que vous en tiriez toutes les conséquences » », a-t-il rapporté.

« Tout le monde m’a conseillé de ne surtout pas me rendre à l’ambassade chinoise, que c’était dangereux », continue-t-il, affirmant ne pas dormir plus d’une heure par nuit à l’époque. En France, des personnes se présentant comme appartenant à l’ambassade chinoise se sont rendus dans les locaux de France 24 et ont exigé la déprogrammation du reportage. Marc Saikali, directeur des rédactions de France 24, n’a pas cédé aux injonctions, mais indique avoir prévenu « les plus hautes instances de l’État, ainsi que les ONG spécialisées dans les droits de l’Homme en général, et des journalistes en particulier ».

La réaction des autorités chinoises a été vivement condamnée par les ONG. Reporters sans frontières a condamné des « procédés inacceptables » s’apparentant « aux méthodes de la pègre plus qu’à celles de fonctionnaires de haut rang ».

Diplomatie de paillasson ?

L’Obs a qualifié le silence assourdissant des autorités françaises de « diplomatie de paillasson ». Et pour cause. Sur le site du gouvernement, l’information du non renouvellement du visa d’Ursula Gauthier est assortie d’un court commentaire.

« Nous regrettons que le visa d’Ursula Gauthier n’ait pas été renouvelé. La France rappelle l’importance que les journalistes puissent exercer leur métier partout dans le monde », peut-on lire. Le fil d’actualité, abondamment nourri en informations relatives aux partenariats des entreprises franco-chinoises ou à l’amitié franco-chinoise, ne mentionne qu’en deux lignes l’affaire de Mme Gauthier.

« Sur place, l’ambassade de France en Chine a tenté un travail de médiation. Mais une fois que la décision des Chinois est tombée (…), on aurait aimé une réaction plus forte qu’un simple regret du Quai d’Orsay », indique L’Obs. D’après la journaliste, Pékin ne comprend que le langage de l’autorité. En 2013, lorsque des journalistes du New York Times ont vu leur demande de renouvellement de visa refusée, le vice-président américain, Joe Biden, est intervenu et a menacé Xi Jinping de conséquences. Les journalistes ont ainsi obtenu leur visa.

Pour Ursula Gauthier, le retour en France ne signifie pas la fin de son travail, une « passion » qu’elle exerce « depuis 30 ans ». « Je continuerai à écrire », insiste-t-elle, « même un peu plus longuement sur cet incident, très révélateur d’une dérive très préoccupante vers une dictature de plus en plus autoritaire. Derrière les gratte-ciel, il y a la dictature… », résume-t-elle.

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