La victoire des candidats « anti-système » vue de l’étranger

avril 25, 2017 12:01, Last Updated: avril 25, 2017 10:08
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Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle ont confirmé les pronostics des sondages : Emmanuel Macron, à la tête du mouvement « En Marche ! », a remporté près de 24 % des voix dimanche 23 avril, suivi de près par Marine Le Pen (22 %).

L’ascension de ces candidats – tout deux se proclamant et perçus comme « hors système », voire « anti-système » pour Marine Le Pen – a été particulièrement suivie par la presse étrangère. Certains voient dans la montée d’Emmanuel Macron une « bonne nouvelle pour l’Europe », d’autres s’inquiètent de la banalisation du vote FN.

La chute vertigineuse des partis politiques dits traditionnels ouvre dans l’Hexagone une ère inédite qui aura des répercussions sur les rapports que le pays entretient avec le reste du monde. The Conversation Global a interrogé des spécialistes internationaux pour analyser les conséquences potentielles de cette nouvelle donne politique.

Simon Watmough (Turquie) : « L’élection présidentielle française pourrait mettre en danger ses relations avec la Turquie ».

Alors que la France et la Turquie ont un riche passé d’échanges mutuels remontant à plusieurs siècles, leurs relations se sont détériorées depuis le milieu des années 2000, quand la France a mis son veto à l’accès de la Turquie à l’Union européenne.

Dès la présidence de Jacques Chirac, les Présidents français ont largement utilisé le statut de la Turquie comme pays à majorité musulmane, ainsi que le ressentiment français vis-à-vis de sa population d’origine turque – de première et de seconde génération, pour faire jouer le sentiment anti-turc durant les élections.

Ce premier tour de l’élection présidentielle n’échappe pas à la règle : le candidat centriste Emmanuel Macron et la candidate d’extrême-droite Marine Le Pen ont tous deux montré du doigt le référendum turc du 18 avril, qui a augmenté dans des proportions majeures les pouvoirs de Recep Tayipp Erdogan, le président turc.

Emmanuel Macron a profité de l’occasion pour renforcer son crédit de centriste pro-européen en critiquant les résultats du référendum, affirmant qu’ils étaient le signe du glissement de la Turquie vers l’autoritarisme.

Marine Le Pen, qui a fustigé les meetings qui se sont tenus en France sur le référendum turc en mars, promeut actuellement une vision similaire au populisme conservateur façon « mon pays d’abord » du Président Erdogan. Elle espère une « relation privilégiée avec la Turquie » et, si elle est élue, affirme qu’elle orchestrera la sortie de la France de l’Union européenne.

La semaine passée, le professeur Philippe Moreau Defarges, un chercheur du l’Institut français des relations internationales (IFRI) a jeté de l’huile sur le feu en affirmant que la meilleure façon de « s’occuper » d’Erdogan serait un assassinat politique. Sans surprise, beaucoup de citoyens turcs vivant en France, outragés, ont utilisé les réseaux sociaux pour exprimer leur consternation.

Réactions de citoyens turcs vivant en France, outragés par la déclaration du professeur Moreau Defarges.

The Conversation, CC BY

Erdogan, de son côté, n’a pas hésité à utiliser les propos tenus par la France sur le fait que la Turquie n’appartient pas à l’Europe pour renforcer son argumentation selon laquelle jamais l’Europe n’acceptera la Turquie en tant que membre, et pour présenter la France comme un bastion de l’islamophobie européenne.

En France vivent aujourd’hui environ un demi-million de Turcs de première et de seconde génération (qui représentent environ 4 % des Français ayant au moins un parent immigré en 2015). La communauté turque est généralement considérée comme la communauté immigrée de France la moins bien intégrée en raison des contacts étroits de ses membres avec leur pays natal. Les politiques de l’état turc les encouragent également en ce sens.

Il conviendra d’analyser finement le vote des citoyens franco-turcs le 7 mai. Pour le moment, ce qui est certain est que compte tenu de la résurgence de l’extrême-droite française et de l’embardée de la Turquie vers plus d’autoritarisme, les perspectives d’un renouveau des relations entre les deux pays sont minces.

Balveer Arora (Inde) : « Echo indien »

L’élection française suscite un vif intérêt en Inde. Le contexte, bien sûr, joue, le calendrier électoral français prenant place entre le vote du Brexit et les élections législatives allemandes.

Les politiques restrictives d’immigration de l’administration Trump ont d’autant plus aiguisé l’intérêt des Indiens, notamment les étudiants et les jeunes actifs, pour l’Europe, et pour la tournure que prendront les élections majeures de la région.

La victoire d’Emmanuel Macron lors de ce premier tour de scrutin a réduit les craintes d’un vote « anti-globalisation » qui pourrait ruiner l’Union européenne. Son positionnement politique – dit ni de droite ni de gauche – et son invocation du général de Gaulle lors du lancement de son mouvement, ont fait écho aux origines de la Ve République française. Son ascension, qui serait savamment orchestrée par le très impopulaire président François Hollande, constitue pour l’observateur étranger une fascinante étude des stratagèmes politiques.

D’un autre côté, on peut relever de nombreux points communs en Inde avec la candidate talonnant Emmanuel Macron, Marine Le Pen. Son parti, longtemps considéré comme se situant en dehors du spectre politique traditionnel en France, est devenu en quinze ans un acteur phare de la vie politique grâce à une campagne dite de « dédiabolisation ». Cette trajectoire n’est pas sans rappeler celle du Bharatiya Janata Party, le parti de droite ultra-nationaliste hindou, actuellement au pouvoir en Inde. Ce mouvement a creusé son sillon afin de trouver, lentement mais sûrement, sa place parmi les autres partis, après avoir longtemps été ostracisé en raison de son attitude hostile envers les minorités religieuses en Inde.

Par ailleurs, la particularité du régime hybride propre au mode de gouvernance en France, mêlant une fonction présidentielle et un poste de premier ministre pas moins important, a été observé avec attention en Inde depuis les années 70, notamment quand le gouvernement d’Indira Gandhi discutait de réformes constitutionnelles s’appuyant sur ce particularisme.

Ce régime a été remis en cause durant la dernière campagne en France. Il pourrait cependant obtenir un sursis supplémentaire avec la victoire de Macron, et inspirer d’autres débats en Inde.

L’évident déclin des grands partis traditionnels français sera un autre point à observer, notamment lors des élections législatives prévues au mois de juin. La nouvelle majorité parlementaire inaugurera-t-elle une ère de coalitions et de cohabitation, ou bien accélérera-t-elle leur dégénérescence ?

Donatella Della Porta (Italie) : « Le vote anti-système l’emporte… tout comme la gauche radicale ».

En se qualifiant pour le second tour de la présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen témoignent de la force du vote anti-système au sein de l’électorat français. Ce résultat inédit confirme l’émergence d’une nouvelle politique électorale et d’un désir pour des mouvements sociaux forts.

Le mouvement « Nuit debout », place de la République à Paris en avril 2016.

Olivier Ortelpa/Flickr, CC BY

Il est important de souligner ici la percée-surprise de l’extrême gauche avec la candidature de Jean‑Luc Mélenchon qui a remporté à la tête de « La France insoumise » plus de 19 % des votes, juste derrière le candidat de la droite François Fillon.

Tandis que les partis de centre-gauche reculent en Europe, que ce soit au niveau des adhérents ou des votants, c’est bien la gauche radicale qui semble capable aujourd’hui non seulement d’attirer l’attention mais aussi de réaliser de très bons scores aux élections.

On pourra citer à titre d’exemples Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Bloco de Esquerda au Portugal ainsi que le Parti pirate en Islande.

Certes, aucun de ces partis ne peut être perçu comme l’expression unique et privilégiée des mouvements sociaux qui ont défié ces dernières années le néolibéralisme et les régimes autoritaires. Mais il existe de nombreuses interactions entre ces partis, ou des mouvements comme « Nuit debout », et les différentes formes que peuvent prendre les actions citoyennes.

Catarina Martins, la leader du bloc de gauche portugais (Bloco de Esquerda).

Bloco/Flickr, CC BY-NC-ND

En Amérique latine comme en Europe du Sud, les tremblements de terre électoraux se sont produits lorsque les partis de centre-gauche ont rallié le néolibéralisme. Ce fut le cas du Parti socialiste français qui une fois au pouvoir a trahi ses promesses.

Quel que soit le résultat du second tour de la présidentielle française, cette élection témoigne à son tour du mécontentement profond et grandissant qui agite l’Europe à propos des inégalités croissantes et des affaires de corruption qui éclaboussent la classe politique. Sur tout le continent, l’extrême gauche a fait preuve de sa capacité à innover et à faire émerger des idées progressistes, au moment même où le centre gauche paie le prix fort pour avoir pris un tournant néolibéral.

Simon P. Watmough, Postdoctoral research associate, European University Institute; Balveer Arora, Emeritus professor, Jawaharlal Nehru University ; Donatella Della Porta, Dean, Institute of Human and Social sciences, Scuola Normale Superiore, Florence et Luis Gómez Romero, Senior Lecturer in Human Rights, Constitutional Law and Legal Theory, University of Wollongong

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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