Finir leur vie sereinement : neuf tirailleurs très âgés, qui ont combattu pour la France notamment en Indochine et en Algérie, se sont envolés vendredi pour un retour définitif au Sénégal, après une longue bataille avec l’administration française pour faire reconnaître leurs « sacrifices ».
Tous élégants en impeccables costumes ou en tuniques traditionnelles, portant avec prestance leurs médailles militaires, ces tirailleurs sénégalais avaient quitté à l’aube leurs studios de 15 mètres carrés dans un foyer à Bondy, en région parisienne, où ils vivaient depuis des années. Certains se déplaçant très difficilement, leurs visages marqués par la solennité du moment, d’autres s’inquiétant d’un passeport laissé dans une valise, ils sont arrivés à l’aéroport dans un car affrété pour l’occasion.
Dans un pavillon spécial, ils ont pu attendre leur vol dans une atmosphère mêlant joie, recueillement et embrassades, en présence notamment de la secrétaire d’État aux Anciens combattants et à la Mémoire Patricia Mirallès. « Vive nos pères ! », « Vive la France et le Sénégal ! », a-t-on entendu fusé lors des moments émouvants de photos de groupe ou d’échanges avec Mme Mirallès. « Vous allez nous manquer ! Mais la famille vous attend là-bas… », leur a lancé la secrétaire d’État, très émue.
Un retour possible grâce à une mesure dérogatoire
Ces tirailleurs ont combattu pour l’armée française principalement dans l’enfer de l’Indochine et de la guerre d’Algérie, et pour certains ont été déployés au Cameroun et en Mauritanie. « Je suis très content de rentrer au Sénégal et de continuer à bénéficier des droits que j’avais en France ; depuis 25 ou 20 ans, c’était dur pour nos proches de faire la navette, et pour notre âge aussi… », a dit à l’AFP N’Dongo Dieng, 87 ans, portant ses médailles militaires sur une tunique moutarde. Cela arrive « tardivement », car « beaucoup de camarades sont morts avant de bénéficier de cette mesure… », a déploré l’ancien combattant.
Ce retour a été rendu possible grâce à une mesure dérogatoire décidée par le gouvernement français, qui leur permet de vivre en permanence dans leur pays d’origine, sans perdre leur allocation minimum vieillesse de 950 euros par mois. Une aide exceptionnelle finance aussi leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation.
L’aboutissement d’un « très long combat »
Le vol Air Sénégal a décollé de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle vers 12h30 locales (10h30 GMT) et devait atterrir dans l’après-midi à Dakar, où était prévu un accueil par le ministre des Forces armées Sidiki Kaba. Ces tirailleurs doivent en outre rencontrer le président Macky Sall, a précisé à l’AFP une source à la présidence sénégalaise. « Je suis extrêmement émue », confie à l’AFP avant de prendre l’avion Aïssata Seck, présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais.
Petite-fille d’un tirailleur, elle a été la cheville ouvrière qui depuis dix ans a travaillé à leur reconnaissance, jusqu’à la décision d’Emmanuel Macron début 2023 d’annoncer cette mesure dérogatoire pour leur allocation. « Le fait qu’ils puissent enfin rentrer chez eux, c’est un vrai soulagement et c’est l’aboutissement d’un très long combat » pour qu’ils aient « une fin de vie digne ». Elle estime que l’État français « a fait ce qu’il fallait ».
Une reconnaissance bien tardive
Pour Claire Miot, maîtresse de conférence en histoire à Sciences Po Aix, « c’est une reconnaissance de leurs sacrifices au service de la France qui est extrêmement tardive, car ce sont des hommes qui ont 90 ans, sans même parler des soldats engagés dans la Seconde Guerre mondiale qui sont majoritairement décédés ». Dans un franc sourire, M. Dieng confie souhaiter désormais « vivre tranquillement dans (son) village natal ». « Et comme j’aime bien les animaux, je vais continuer à développer mon cheptel, au milieu des miens ».
Le corps français des « Tirailleurs sénégalais », créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires des anciennes colonies d’Afrique. Le terme a fini par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Après les départs de vendredi, il reste encore en France 28 tirailleurs – tous d’origine sénégalaise – dont plusieurs sont susceptibles de bientôt rentrer définitivement.
Ils sont la mémoire vivante de l’histoire
Selon l’historien Julien Fargettas, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, ils étaient plus de 200.000 lors de la Première Guerre mondiale, 150.000 pour la seconde, 60.000 en Indochine. M. Fargettas, qui a organisé des rencontres entre ces tirailleurs de Bondy et des jeunes en France, souligne qu’« ils sont les représentants d’une époque, et la mémoire vivante des tirailleurs ».
Engagé volontaire dans l’armée française par tradition familiale, Yoro Diao, 95 ans, Légion d’honneur à la boutonnière, veut « se reposer » à Kaolack, dans le centre du Sénégal. C’est « un jour très important pour nous, et mémorable ! », a-t-il confié à l’AFP avant de monter dans l’avion.
« Nos enfants et nos petits-enfants s’en rappelleront toujours… que papy est, ce jour-là, revenu de France très content ».
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