À quoi sert de rechercher les galaxies lointaines ? Dans les deux précédents articles de notre série, nous avons pu prendre connaissance des questions scientifiques sous-jacentes à cette quête cosmologique et comprendre en quoi les satellites Planck et Herschel, au meilleur des technologies spatiales, ont été des instruments cruciaux.
Les résultats de Planck et ceux confirmés par Herschel ont déjà fait, à l’heure actuelle, l’objet de deux publications scientifiques. L’information a également été relayée dans ses grandes lignes par la presse au printemps dernier. Ce qui n’a pas été forcément évoqué en revanche concerne le comment et le pourquoi : quelles ont été les méthodologies mises en œuvre et pourquoi faut-il se lancer dans ce type de recherche fondamentale.
Les outils pour réussir : le comment
De nombreuses méthodes existent pour progresser dans la recherche de galaxies lointaines. Mais toutes impliquent d’une part l’utilisation de télescopes puissants équipés de détecteurs à la pointe de la technologie et, d’autre part, de systèmes de gestion des données. Ces derniers sont développés dans nos laboratoires et universités, avec le soutien de grands organismes (tels que le CNRS, le CNES ou le CEA), et en lien avec l’industrie. En cosmologie, la période de recherche est très longue : cela se compte en dizaines d’années. Durant tout ce temps, des compétences très variées sont mises en oeuvre par tous les profils de personnels passionnés par la recherche : chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens, personnels administratifs. La mobilisation dépasse nos frontières.
Pour Planck et Herschel, ce sont des collaborations européennes qui ont conçu, développé, fabriqué, testé et fait fonctionner de nouveaux instruments envoyés dans l’espace. Certains défis ont été particulièrement ambitieux, comme celui de faire fonctionner un instrument refroidi à -273,05 degrés (0.1 Kelvin) sans variation pendant deux ans dans l’espace, une première mondiale. Tout a fonctionné au-delà des exigences.
Cet effort concernant l’instrumentation en conditions spatiales, motivé par des buts scientifiques clairs et soutenus par une grande communauté scientifique, implique aussi des industriels. Ceux-là déposent des brevets ou développent des nouveautés qui n’auraient pas forcément vu le jour sans ces besoins formulés par les chercheurs dans un objectif de recherche fondamentale. Une fameuse lettre de 1970 d’un administrateur de la NASA évoque, avec des arguments similaires mais avec un certain brio, la justification des programmes spatiaux de l’époque. Quoi que justifiées et utiles, gardons-nous cependant de n’aborder la question uniquement par le prisme des retombées technologiques, industrielles, économiques, écologiques, humanitaires ou géopolitiques.
Je pourrais me résumer ainsi : la recherche fondamentale, par ses besoins technologiques, engendre déjà aujourd’hui des développements industriels avec des retombées économiques, tout en préparant l’avenir sur des aspects conceptuels ou plus pragmatiques, tous propices à d’autres découvertes.
Le pourquoi
Après le « comment », intéressons-nous au « pourquoi ». Quelle est la ou les raisons pour lesquelles on souhaite rechercher des galaxies lointaines ? Et plus généralement, pourquoi mener des recherches fondamentales ?
On me pose souvent une question, tout à fait légitime : à quoi ça sert ? Ou bien, « cela coûte bien cher pour avoir une belle image ». Mon avis est le suivant. La quête de nos origines est l’un des invariants de l’espèce humaine, tout comme le questionnement sur la nature du monde et la place que nous y occupons. Ces questions fondamentales imprègnent le genre humain, guident une grande partie de ses réflexions et actions, et se traduisent à chaque époque sous différentes formes dans tous les domaines de sa production intellectuelle : artistique, culturelle, littéraire, philosophique, scientifique, théologique, notamment.
Conception du monde
Selon moi, la principale justification à poursuivre des recherches fondamentales est liée à notre conception du monde. En effet, que serait-elle sans les connaissances issues de la recherche ? Un proche collègue pose le débat en ces termes : « est-ce que cela changerait votre vie de tous les jours si nous pensions collectivement que la Terre était encore plate et au centre de l’Univers ? ». J’ai la faiblesse de penser que la réponse à cette question est « oui » pour tous les humains. Si dans notre vie quotidienne nous invoquons peu notre conception du monde, je pense que néanmoins elle nous imprègne, nous habite et nous permet de jouer pleinement notre rôle d’êtres pensants.
Dans notre société contemporaine, ces questions fondamentales pourraient paraître surannées, ou réservées à quelques-uns. Je crois qu’il n’en est rien : il suffit de se référer à l’incroyable écho populaire et médiatique suscité par une série d’évènements scientifiques pour se convaincre que cette quête est bien présente, parfois enfouie, en chacun de nous : la découverte expérimentale du boson de Higgs en juillet 2012 au CERN, l’image de l’univers jeune (le fond cosmologique) par Planck en mars 2013, l’atterrissage épique et réussi de la sonde européenne Philae sur la comète Tchouri en novembre 2014, la découverte de petites exoplanètes comme Kepler 452-b et les images de Pluton par New Horizons durant l’été 2015, ou, très récemment, les indices d’eau liquide sur Mars avec la sonde MRO. Il suffit aussi de regarder l’écho médiatique et l’engouement autour de la belle éclipse totale de Lune du 28 septembre 2015. Je cite ici des exemples liés à la physique et l’astrophysique, mais tous les domaines de la connaissance sont concernés.
Maximilien Brice / CERN, CC BY
C’est donc un choix de société que celui de consacrer quelques moyens à la recherche – à toutes les recherches. Elles sont peu coûteuses par rapport aux aux dépenses des états: typiquement 1 à 3% de PIB, à comparer à d’autres postes budgétaires comme la défense ou la fiscalité du gasoil en France. Elles préparent l’avenir, mais aussi, et surtout, elles donnent à penser notre monde et la place de l’homme dans celui-ci, dans le temps, l’espace, la société et toute sa diversité.
Hervé Dole, Professeur d’astrophysique et physique, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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