Le 15 août 2020 a marqué le 100e anniversaire de la percée réalisée par les Polonais dans leur lutte contre les Soviétiques. Celle-ci a conduit à la victoire polonaise et a empêché la Russie soviétique d’exporter la révolution communiste en Europe centrale et orientale pendant près de vingt ans. La bataille décisive qui avait commencé le 12 août 1920 à Varsovie, en Pologne, a été perdue par les Soviétiques qui ont entamé une retraite générale le 18 août de la même année.
Le professeur Andrzej Nowak, historien, publiciste polonais et professeur de sciences humaines à l’Université Jagellon de Cracovie, en Pologne, s’est entretenu avec Epoch Times sur les circonstances qui ont conduit à la victoire polonaise dans la bataille de Varsovie, les conséquences, ainsi que sur la signification de cette victoire pour l’Europe et le monde. Le professeur Nowak est l’auteur de plus de 30 ouvrages, dont un sur la guerre soviéto-polonaise qui a conduit à la bataille de Varsovie, Klęska imperium zła. Rok 1920.
Les raisons de l’invasion de la Pologne par l’Union soviétique, il y a 100 ans
« La Russie est devenue le lieu où, contrairement à ce que Marx attendait, l’idéologie communiste fondée au XIXe siècle en Occident a triomphé pour la première fois. La première révolution fondée sur l’idéologie communiste a eu lieu en Russie », rappelle le professeur Nowak.
La combinaison des traditions impériales russes avec l’idéologie communiste a donné naissance à une politique spécifique, adoptée par Vladimir Lénine et d’autres dirigeants de la révolution bolchevique. « Ils voulaient immédiatement étendre la révolution à l’Europe, où se trouvait son centre idéologique. »
L’Allemagne – la plus grande puissance économique et militaire d’Europe à cette époque – avait également la plus grande classe ouvrière, le parti ouvrier le plus fort, de sorte que l’objectif des dirigeants soviétiques russes était de se frayer un chemin jusqu’à l’Allemagne, a expliqué M. Nowak.
Cet objectif est devenu plus réaliste encore après la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale en 1918, moment où Lénine a établi le front occidental de l’Armée rouge soviétique, visant à réaliser les ambitions bolcheviques de percer au travers de la Pologne vers l’Allemagne.
Un ministère soviétique, (le Commissariat du peuple aux nationalités), alors dirigé par Joseph Staline, a été chargé de préparer l’offensive militaire. Dans son article publié en 1918, Staline qualifie la Pologne et les autres pays situés entre la Russie et l’Allemagne de « diviseurs », c’est-à-dire de « minces partitions que l’armée soviétique doit percer avec sa ‘main de fer’ pour atteindre Berlin le plus rapidement possible ».
« Les bolcheviks voulaient que le communisme triomphe non seulement dans toute l’Europe mais aussi dans le monde entier », explique M. Nowak. Cependant, les bolcheviks ont dû retarder leur offensive sur le front occidental jusqu’en 1920 en raison de la guerre civile en Russie soviétique où ils combattaient des forces d’opposition anticommunistes unies.
Éclatement de la guerre soviéto-polonaise
En 1920, la guerre soviéto-polonaise est entrée dans une phase décisive lorsque l’Armée rouge soviétique a commencé à préparer une invasion massive de la Pologne, a déclaré Novak, ajoutant qu’il avait fait des recherches sur les préparatifs soviétiques en se basant sur la documentation détaillée qu’il avait trouvée dans les archives militaires à Moscou.
Le chef d’État et commandant en chef polonais de l’époque, Jozef Pilsudski, a lancé au printemps 1920 une offensive préventive pour libérer l’Ukraine de la domination soviétique, en prévision d’une attaque soviétique. Le but politique de son action était de former une alliance entre la Pologne et l’Ukraine qui pourrait protéger les deux pays contre le néo-impérialisme bolchevique et jeter les bases de la sécurité régionale, explique M. Nowak.
Cependant, le plan de Pilsudski a échoué : les forces militaires polonaises étaient insuffisantes pour protéger la souveraineté de l’Ukraine et les puissances occidentales ne considéraient pas l’indépendance de l’Ukraine comme suffisamment importante.
Le commandant des forces soviétiques, Mikhail Tukhachevsky, a donné l’ordre à son armée de près de 5 millions de soldats d’aller à Berlin en marchant « sur le cadavre de la Pologne blanche ». L’armée polonaise ne comptait que 900 000 hommes.
Les bolcheviks utilisaient le terme « blanc » en référence aux forces anticommunistes alors qu’ils appelaient leur armée « rouge ».
Le principal objectif de Toukhatchevski était d’atteindre Berlin le plus rapidement possible. Il a donc conçu une tactique pour encercler Varsovie au nord et ainsi étendre les lignes de communication. « Cette manœuvre a permis à Pilsudski d’infliger un coup mortel à l’armée soviétique » en préparant un superbe plan pour la frapper par le sud. Le 15 août 1920, les forces polonaises écrasèrent complètement l’armée ennemie, la forçant à s’échapper dans la panique. La Pologne a fait prisonniers 100 000 soldats de l’Armée rouge.
Lénine a « déclaré lors d’une conférence du Parti communiste soviétique en septembre 1920 que c’était une défaite unique et sans précédent, la défaite de l’Armée rouge et la défaite de la stratégie soviétique », explique M. Nowak.
Raisons de la victoire polonaise
Lénine devrait porter une part de responsabilité dans la défaite, car il a ordonné d’ouvrir deux fronts en même temps, une tâche que l’Armée rouge n’a pas pu mener à bien, commente M. Nowak.
En plus de l’offensive polonaise, Lénine avait ouvert une second front au sud-ouest, dirigé par Staline quelques semaines avant l’offensive sur Varsovie, avec pour objectif de conquérir la partie sud de la Pologne puis l’Europe du Sud, y compris la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Autriche, la Roumanie, et d’atteindre enfin l’Italie. Staline avait confirmé à Lénine dans un câble que ce plan était réalisable, a déclaré M. Nowak.
Cependant, « plus que les erreurs de la direction soviétique, c’est l’attitude des soldats polonais et surtout la conscience nationale patriotique de la population polonaise [qui a joué] », considère M. Nowak.
Avant d’attaquer la Pologne, les bolcheviks avaient fait des conquêtes réussies dans l’ancien empire russe en « s’appuyant sur des slogans de vengeance de classe, l’anomie – c’est-à-dire l’instabilité sociale causée par l’érosion de la morale, des normes et des valeurs dans une société – et le manque de conscience nationale des populations envahies ».
Ce slogans n’ont pas fonctionné en Pologne. Lorsque les bolcheviks ont appelé les ouvriers et les paysans polonais, qui composaient principalement l’armée polonaise, à tirer sur leurs officiers et à rejoindre l’Armée rouge pour conquérir Varsovie, cela n’a eu aucun effet.
Les soldats polonais « n’ont pas voulu se joindre aux bolcheviks contre la patrie polonaise et ont décidé de la défendre ».
Historiquement déjà, les Polonais traitaient la Russie comme un envahisseur et un ennemi qui avait annexé une grande partie de leur pays et opprimé leur peuple, selon M. Nowak.
Une autre raison est que les Polonais étaient convaincus qu’ils avaient une relation avec la civilisation occidentale, latine, basée sur le christianisme, et qu’ils croyaient que « le bolchevisme [et] l’idéologie communiste voulaient subvertir, détruire » cette civilisation.
« En 1920, la Pologne est ainsi devenue une nation européenne mature, et pas un groupe entretenant la haine des classes », conclut M. Nowak.
Miracle sur la Vistule
Certains Polonais croient que la Divine Providence a aidé l’armée polonaise à gagner la bataille de Varsovie, et c’est pourquoi cette bataille est parfois appelée « le Miracle sur la Vistule ». Le 15 août 2020, le jour où l’armée polonaise a réussi à prendre le dessus coïncide avec le jour de l’Assomption, fête catholique particulièrement importante pour les catholiques polonais.
Selon Catholic Insight, le père Ignacy Skorupka, voyant la terreur dans les yeux des jeunes soldats polonais, a pris la tête d’une colonne de soldats « tenant un crucifix en bois jusqu’à sa mort, chantant ‘pour Dieu et pour la patrie’ à la périphérie du village d’Ossowo ».
Le cardinal Aleksander Kakowski a déclaré dans son journal, selon le Catholic Journal : « Les jeunes soldats que j’ai rencontrés dans un hôpital pour blessés me racontaient les détails de la mort du Père Ignacy Skorupka. Pendant ce temps, les bolcheviks capturés ont dit avoir vu la Mère de Dieu au-dessus d’un prêtre vêtu d’un surplis et tenant une croix. »
« Une des raisons importantes de la résistance de la société polonaise à l’idéologie communiste était précisément la tradition chrétienne et la profonde méfiance envers une idéologie qui apparaissait ouvertement sous des bannières anti-religieuses », commente M. Nowak.
Les Polonais avaient donc identifié les bolcheviks par leur la propagande anti-religieuse. La majorité d’entre eux étaient des catholiques qui croyaient profondément en leur religion et qui considéraient l’invasion bolchevique non seulement comme une attaque contre la Pologne, mais aussi contre les fondements de la civilisation et du christianisme, ce qui les a motivés encore plus à défendre leur pays et leur civilisation.
Une telle attitude a été renforcée par le soutien de l’Église catholique, qui avait organisé des prières publiques. Le pape Benoît XV a fortement soutenu le combat de la Pologne. De nombreux aumôniers catholiques ont rejoint l’armée polonaise à cette époque pour apporter leur soutien, et certains ont donné leur vie dans la bataille.
« Le concept du Miracle sur la Vistule […] a été créé avec un certain objectif politique », souligne M. Nowak, expliquant que l’opposition politique de Pilsudski, qui détenait la majorité au Parlement polonais, a essayé de minimiser le rôle de Pilsudski dans la victoire. L’opposition a mis l’accent sur les autres facteurs qui ont contribué à la victoire, y compris l’intervention de la Providence.
M. Nowak estime que les deux ne sont pas contradictoires, car Pilsudski, son chef d’état-major, ses généraux commandants ainsi que la mobilisation de toute la société par l’église catholique, ont chacun joué un rôle important dans la victoire.
Réactions en Europe et aux États-Unis
« Les pays d’Europe occidentale étaient à l’époque affectés par le traumatisme causé par les pertes gigantesques qu’ils avaient subies lors de la Première Guerre mondiale », explique M. Nowak, « Ils ne voulaient pas participer à une nouvelle guerre. »
« Ils pensaient que l’ordre international devait être basé sur la coopération entre empires et que l’Europe de l’Est devait être sous le contrôle de l’un d’entre eux. »
La France et le Royaume-Uni ne voulaient pas donner le contrôle de l’Europe de l’Est à l’Allemagne, ennemi vaincu lors de la Première Guerre mondiale, et ne pouvaient donc négocier qu’avec la Russie.
Cependant, la France voulait négocier uniquement avec la Russie anticommuniste. C’est pourquoi la France a pris la Pologne comme allié « de substitution » et a fourni à la Pologne de grandes quantités de munitions et d’équipements militaires, sans lesquels la Pologne n’aurait pas pu combattre.
Le Royaume-Uni était, lui, prêt à négocier avec la Russie communiste. Lorsque l’Armée rouge approchait de Varsovie en 1920, le Premier ministre britannique David Lloyd George a discuté avec Lev Kamenev, la troisième personne la plus importante du Politburo soviétique adjoint de Lénine, pour envisager un nouvel ordre européen avec la Pologne sous domination soviétique.
Lloyd George a essayé d’apaiser la Russie en demandant que la Russie soviétique arrête son offensive à la frontière germano-polonaise, car il ne voulait pas que la Russie fusionne avec l’Allemagne, analyse M. Nowak. Le Royaume-Uni a également bloqué toute aide à la Pologne.
De l’autre côté de l’Atlantique, le président américain Woodrow Wilson n’a pris aucune mesure, parce que le Sénat avait bloqué la ratification d’un traité de paix après la Première Guerre mondiale.
Le secrétaire d’État du gouvernement Wilson, Bainbridge Colby, a publié une déclaration quelques jours avant la bataille de Varsovie, déclarant que « l’intégrité territoriale et les véritables frontières de la Russie doivent être respectées. Ces frontières incluent l’ensemble de l’ancien empire russe, à l’exception de la Finlande proprement dite, de la Pologne ethnique. Les aspirations de ces nations à l’indépendance sont légitimes. Chacune d’entre elles a été annexée de force, et leur libération de la domination étrangère oppressive n’implique aucune agression contre les droits territoriaux de la Russie, et a reçu l’aval de l’opinion publique de tous les peuples libres ».
Il convient de noter tout particulièrement l’initiative d’un groupe d’une vingtaine d’aviateurs volontaires américains qui ont créé l’escadron Kościuszko pour soutenir la lutte de l’armée polonaise contre les bolcheviks, souligne M. Nowak. L’un de ses membres était Merian Cooper, qui a ensuite produit un célèbre film d’aventure, King Kong.
Les conséquences de la guerre soviéto-polonaise
« La Pologne a sauvé son indépendance pour près de vingt ans », déclare M. Nowak.
Lénine voulait démanteler les petits pays baltes une semaine après avoir conquis la Pologne. Il aurait donc été possible que des pays tels que la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et la Finlande perdent leur indépendance si les bolcheviks avaient gagné.
La Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie et d’autres pays d’Europe centrale et orientale auraient également pu être conquis, a-t-il ajouté.
La victoire de la Pologne sur la Russie a donné à ces pays une occasion « inestimable » de développer leur économie, leur culture, leur langue, d’élever une génération et de lui inculquer des idéaux d’indépendance avant que la Seconde Guerre mondiale n’éclate en 1939, continue M. Nowak.
« Il était très, très important que ce ne soit pas la culture soviétique avec la langue russe », mais que chaque pays développe sa culture nationale.
Ces 19 années d’indépendance ont permis à ces pays de résister à la Seconde Guerre mondiale et à environ 45 ans de régime communiste après la guerre, considère l’historien. Cet esprit a alimenté les mouvements de liberté dans les pays sous domination soviétique et communiste depuis 1945 et a donné naissance au mouvement Solidarité, qui a rassemblé 10 millions de personnes en 1989 en Pologne et qui a « porté un coup fatal à l’empire soviétique ».
La victoire polonaise, un avertissement pour le monde moderne
Pour l’Occident, la leçon la plus importante de la victoire polonaise est que la politique de concessions vis-à-vis d’un empire agressif comme l’était le régime soviétique aux dépens des pays plus faibles se retournera toujours contre ceux qui font de telles concessions, conclut M. Nowak.
La Pologne a mis fin aux ambitions expansionnistes de l’empire totalitaire soviétique en 1920, mais en 1939, le totalitarisme soviétique est revenu.
L’Allemagne et l’Union soviétique ont conclu le traité de non-agression entre l’Allemagne et l’Union soviétique entre nazis et soviétiques en août 1939, qui comprenait un protocole secret divisant la Pologne et les pays baltes en sphères d’influence allemande et soviétique. Il a permis aux Allemands et aux Soviétiques d’envahir la Pologne en 1939 par l’Ouest et par l’Est en septembre 1939, sans que la France et la Grande-Bretagne ne prennent aucune mesure.
La Seconde Guerre mondiale a fait des millions de victimes dans le monde entier, et l’Union soviétique n’a pas été stoppée lorsqu’elle a étendu sa domination à l’Europe centrale et orientale en 1945.
Lors de l’invasion soviétique de la Pologne en 1920, le chef des forces spéciales de sécurité soviétiques a ordonné d’établir un système de camps de concentration en Russie soviétique et sur les territoires conquis pour détenir tous les opposants au régime soviétique. Les premiers camps de concentration pour les dissidents et les opposants au régime communiste ont été créés en Russie soviétique en 1918 et ont précédé une forme de répression similaire dans le monde entier. Selon l’ancien officier de renseignement militaire soviétique Viktor Suvorov, avant la Seconde Guerre mondiale, Adolf Hitler a envoyé des officiers de la Gestapo en Russie soviétique pour étudier les expériences accumulées par les Soviétiques dans la création des camps de concentration.
La « civilisation des camps de concentration » est la base de l’idéologie communiste, affirme M. Nowak.
Il rappelle que l’idéologie communiste gouverne encore certains pays comme la Chine et la Corée du Nord où les gens ne jouissent pas de la liberté religieuse. En Chine, les catholiques, les pratiquants du Falun Gong et les musulmans sont persécutés pour leur croyance. Tout ce qui n’est pas régi par le Parti communiste chinois y est persécuté, ajoute-t-il.
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