Zimbabwe : explosion de joie pour saluer la démission de Mugabe

21 novembre 2017 18:30 Mis à jour: 30 avril 2021 15:17

Un concert d’avertisseurs a immédiatement salué à Harare l’annonce de la démission du président Robert Mugabe, au terme de trente-sept ans au pouvoir marqués par des violations des droits de l’Homme et une terrible crise économique.

 

« Nous sommes tout simplement tellement heureux. Enfin les choses changent », a lancé à l’AFP Togo Ndhlalambi, coiffeur de 32 ans. « On se réveille depuis si longtemps en attendant ce jour. Ce pays a traversé tant de périodes difficiles. »

 

Le héros de l’indépendance devenu despote

Il avait un jour promis de fêter ses 100 ans au pouvoir. Robert Mugabe n’a finalement pas réussi à défier le temps. Incarnation jusqu’à la caricature du despote africain prêt à tout pour perpétuer son règne, il a été contraint à démissionner à 93 ans.

Une semaine après un coup de force de l’armée, le plus vieux chef d’État en exercice de la planète, longtemps considéré indéboulonnable, a dû concéder sa défaite, alors que le parlement avait débuté une procédure visant à le destituer.

Accueilli en libérateur à l’indépendance en 1980, le « camarade Bob » a été progressivement lâché par tous les fidèles de son régime, épilogue d’un règne autoritaire et sans partage de trente-sept ans qui a entraîné l’effondrement de son pays.

« Il fut un formidable dirigeant dont le pouvoir a dégénéré au point de mettre le Zimbabwe à genoux », résume Shadrack Gutto, professeur à l’université sud-africaine Unisa.

Et pourtant. Lorsqu’il a pris les rênes de l’ex-Rhodésie dirigée par la minorité blanche, Robert Mugabe a séduit.

Sa politique de réconciliation, au nom de l’unité du pays, lui vaut des louanges générales, particulièrement dans les capitales étrangères. « Vous étiez mes ennemis hier, vous êtes maintenant mes amis », lance l’ex-chef de la guérilla.

Il offre des postes ministériels clés à des Blancs et autorise même leur chef, Ian Smith, à rester au pays.

 

Bardé de diplômes, le révolutionnaire Mugabe apparaît comme un dirigeant modèle. En dix ans, le pays progresse à pas de géant : construction d’écoles, de centres de santé et de nouveaux logements pour la majorité noire.

Très tôt pourtant, le héros a la main lourde contre ses opposants. Dès 1982, il envoie l’armée dans la province « dissidente » du Matabeleland (sud-ouest), terre des Ndebele et de son ancien allié pendant la guerre, Joshua Nkomo. La répression, brutale, fait environ 20 000 morts.

Mais le monde ferme les yeux. Il faudra attendre les années 2000, ses abus contre l’opposition, des fraudes électorales et surtout sa violente réforme agraire pour que l’idylle s’achève.

Affaibli politiquement, déstabilisé par ses compagnons d’armes de la guerre d’indépendance, Robert Mugabe décide de leur donner du grain à moudre en les lâchant contre les fermiers blancs, qui détiennent toujours l’essentiel des terres du pays.

Des centaines de milliers de Noirs deviennent propriétaires, mais au prix de violences qui contraignent la plupart des 4 500 fermiers blancs à quitter le pays et font la « Une » des médias occidentaux.

La réforme précipite l’effondrement d’une économie déjà à la peine. Aujourd’hui, les liquidités manquent et 90% des Zimbabwéens sont au chômage.

Le petit homme aux épaisses lunettes incarnait la réussite d’une Afrique indépendante. Il rejoint alors définitivement le rang des parias, ce dont il s’accommodera bien volontiers.

Dans des diatribes anti-impérialistes au vitriol, Robert Mugabe rend l’Occident responsable de tous les maux de son pays, notamment sa ruine financière, et rejette toutes les accusations de dérive autoritaire.

« Si des gens disent que vous êtes un dictateur (…), vous savez qu’ils le font surtout pour vous nuire et vous ternir, alors vous n’y prêtez pas attention », confie-t-il en 2013.

Se débarrasser du vieux président

Des manifestants à l’ambassade du Zimbabwe à Londres demandent la démission de Robert Mugabe. (Jack Taylor/Getty Images)

Dans les dernières années de sa vie, il balaie de la même façon les spéculations sur son état de santé. La rumeur le dit malade d’un cancer, son entourage explique ses fréquents séjours à Singapour par le traitement d’une cataracte.

« Mes 89 ans ne signifient rien », plastronne-t-il en 2013 juste avant sa énième réélection. « Est-ce qu’ils m’ont changé ? Ils ne m’ont pas flétri, ni rendu sénile, non. J’ai encore des idées, des idées qui doivent être acceptées par mon peuple ».

Malgré ces assurances, sa santé décline. En 2015, il est surpris à prononcer le même discours à un mois d’intervalle.

Les photos de ses siestes pendant les réunions internationales n’en finissent plus de faire rire la planète.

Ses adversaires le soupçonnent d’être tombé sous la coupe de sa deuxième épouse Grace. L’ancienne secrétaire est devenue de plus en plus ambitieuse et s’invite dans la course à sa succession. Elle obtient de son mari la tête de la vice-présidente Joice Mujuru en 2014, puis celle du vice-président Emmerson Mnangagwa le 6 novembre 2017. Le limogeage de trop, puisque c’est celui qui convainc l’armée de se débarrasser du vieux président…

Né le 21 février 1924 dans la mission catholique de Kutama (centre), Robert Gabriel Mugabe est décrit comme un enfant solitaire et studieux, qui surveille son bétail un livre à la main. Il caresse un temps l’idée de devenir prêtre. Il sera enseignant.

Une détermination sans faille

Séduit par le marxisme, il découvre la politique à l’université de Fort Hare, la seule ouverte aux Noirs dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. En 1960, il s’engage dans la lutte contre le pouvoir rhodésien, blanc et ségrégationniste.

Arrêté quatre ans plus tard, il passe dix années en détention, qui lui laissent un goût amer : les autorités lui refusent d’assister aux obsèques du fils de 4 ans que lui a donné sa première femme, Sally Hayfron, morte en 1992.

Peu après sa libération, il trouve refuge au Mozambique voisin, d’où il prend la tête de la lutte armée, jusqu’à l’indépendance de son pays et son arrivée au pouvoir.

Tout au long de son parcours, il fait preuve d’une détermination et d’une intelligence sans faille.

« Mugabe n’était pas humain », se souvient l’ancien secrétaire britannique aux Affaires étrangères Peter Carrington, qui a négocié avec lui l’indépendance. « Vous pouviez admirer ses qualités et son intellect (…) mais il était terriblement fuyant ».

Jusqu’au bout, ses adversaires lui reprochent sa soif inextinguible de pouvoir.

Pour Martin Meredith, un de ses biographes, « Mugabe s’est maintenu au pouvoir en (…) écrasant ses opposants, violant la justice, piétinant le droit à la propriété, réprimant la presse indépendante et truquant les élections ».

I.M. avec AFP

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