Yahoo collabore à l’arrestation d’un journaliste
Le géant Yahoo continue d’être fortement critiqué pour avoir fourni aux
autorités chinoises de l'information qu’elles ont utilisée pour
condamner un journaliste à dix ans de prison. Yahoo fait maintenant
face à des allégations selon lesquelles sa justification pour avoir agi
ainsi pourrait être légalement nulle.
Le co-fondateur de Yahoo,
Jerry Yang, a dit lors d'une conférence en ligne : «Je n'aime pas le
résultat de ce qui se passe à ce sujet, mais nous devons suivre la
loi», a rapporté le Washington Post le 11 septembre. La
succursale de Hong-Kong a transmis à la police chinoise des détails
concernant un courriel que le journaliste Shi Tao a envoyé. Ce courriel
a servi de pièce à conviction pour l'accuser d'avoir «divulgué des
secrets d'État à l’étranger».
Me Guo Guoting, qui défendait M.
Shi dans le procès en début 2005, remet en question l'explication de
Yang. Me Guo est un avocat parmi une poignée d'avocats en droits
humains en Chine.
«Yahoo [Hong-Kong] n'a aucune obligation d'obéir à la loi de la Chine», dit-il.
Shi Tao était le rédacteur en chef du Contemporary Business Newspaper.
Le 20 avril 2004, il avait utilisé le service courriel de Yahoo pour
envoyer le procès-verbal d’une conférence à un site Internet
pro-démocratique d’outre-mer. Le courriel détaillait les restrictions
imposées sur les médias avant le 15e anniversaire du Massacre de la
Place Tian An Men le 4 juin 1989, selon le Writers in Prison Committee
(Le Comité des Écrivains en Prison) du PEN International. Yahoo
Hong-Kong a fourni l'adresse IP qui était à l'origine du courriel et
que la police chinoise a retracé jusqu'à l'ordinateur de M. Shi.
Plusieurs
groupes de défense des droits ont critiqué la façon dont Yahoo a traité
le cas de M. Shi. «Nous savions déjà que Yahoo collaborait avec
enthousiasme avec le régime chinois en termes de censure et maintenant
nous savons qu'il est aussi un informateur de la police chinoise», a
indiqué Reporters sans frontières.
Me Guo s'était préparé à
défendre Shi Tao dans cette affaire, plaidant non coupable. Une semaine
avant la date de l’audience, les autorités chinoises ont fermé son
entreprise, lui ont retiré sa licence pour pratiquer le droit et l'ont
assigné à domicile pour avoir apparemment publié des essais sur des
sites Internet d’outre-mer. M. Shi a été condamné en avril. Au mois de
mai, avec une certaine influence du gouvernement canadien, Me Guo a pu
visiter le Canada où il est demeuré depuis.
«Le courriel de Shi
Tao n'était pas un secret d'État, selon la définition légale des
secrets d'États en Chine», dit Me Guo. «Le contenu n'avait aucun
rapport avec la sécurité d’État et les intérêts de l'État. En fait, les
agents spéciaux chinois étaient déjà au courant du courriel de M. Shi
depuis le moment précis où il l'avait envoyé. Cependant, ils n'ont pris
aucune action immédiate. Six mois plus tard, ils ont arrêté M. Shi.
D'un côté, cela indique qu'ils suivaient de près M. Shi, et d'un autre
côté, cela signifie que les soi-disant «secrets d'État» dans le
courriel ne sont pas vraiment des secrets d'État.
La juridiction en question
Me
Guo a pratiqué le droit pendant vingt ans en Chine. «En envoyant ce
courriel, M. Shi exerçait sa liberté d’expression et les journalistes
sont payés justement pour ça», dit-il. «Ce n'est pas un comportement
criminel. Yahoo n’est absolument pas obligée de collaborer avec les
autorités chinoises». Il dit que la loi internationale pourrait faire
préséance dans ce cas de toute manière.
«De plus,
l'enregistrement légal de Yahoo Hong-Kong n'est pas en Chine
continentale; il n'a aucune obligation de suivre la loi de la Chine
continentale». Hong-Kong est retourné à la Chine en 1997, mais a
conservé un statut administratif spécial et son propre système légal.
De
quelle loi alors, Jerry Yang faisait-il référence lorsqu’il a dit que
Yahoo devait «suivre la loi»? Une demande auprès du service des
relations publiques de Yahoo s'est avérée infructueuse.
Me Guo
élabore que M. Yang faisait référence à des circonstances comme
lorsqu’un tribunal lance un ordre et que les parties qui y sont liées
sont en obligation de coopérer. «Cependant, M. Shi n'est pas un
criminel et le tribunal ne l'avait même pas jugé. Dans des cas comme
celui-ci, les compagnies ou les individus n'ont aucune obligation de
coopérer», explique-t-il.
Les entreprises occidentales se soumettent
Depuis
quelques années, les entreprises occidentales de haute technologie,
pressées de profiter du marché chinois, se bousculent pour faire des
affaires avec la Chine. Plusieurs, comme Yahoo, se sont attirées de
nombreuses critiques à cause de leur volonté de participer aux efforts
du Parti communiste chinois pour bloquer la circulation de
l'information.
Ethan Gutmann, l'auteur de Losing the New China,
décrit la véritable parade de compagnies qui fournissent de
l'équipement de surveillance et qui aident à la construction du «Great
Firewall of China» (Grand pare-feu de la Chine), telles que Sun
Microsystems, Nokia, Motorola et Cisco.
«J'ai parlé à un
représentant de Cisco et il m'a dit : "Quels que soient les règlements
du gouvernement chinois, ça nous est égal; ce n'est pas de nos
affaires". Cependant, ça regarde Cisco, parce que les trois quarts des
routeurs de la Chine, même aujourd'hui, sont faits par Cisco», a dit M.
Gutmann lors d'un forum de La Grande Époque.
«Nortel
était un grand joueur dans tout cela», dit-il. «Ils étaient
incroyablement actifs dans leurs tentatives de vendre les capacités de
surveillance absolue». Il ajoute : «Un ingénieur haut placé de Nortel
m'a assuré qu'ils avaient développé "un système à efficacité garantie
pour attraper [les internautes]" et qu'ils disaient l’avoir conçu
spécifiquement pour "attraper le Falun Gong".»
Microsoft s'est
attirée des critiques sévères en juin dernier pour avoir censuré des
mots comme «liberté» et «droits de l'homme» dans son service de blogging.
Pour les usagers chinois, le service de nouvelles Google omet de ses
résultats de recherches tous les articles des sources de nouvelles que
les censeurs chinois ont bloqués, dont La Grande Époque.
Plus
de 130 portails majeurs, dont Yahoo, ont «signé une contribution
volontaire de ne pas afficher de l'information qui nuirait à la
sécurité de l'État et qui perturberait la stabilité sociale en Chine»,
selon un rapport de la BBC de septembre 2002.
Un futur incertain
En
Chine, c'est un fait bien connu que les services domestiques de
courriels ne sont pas sécuritaires, alors les dissidents et les
activistes en droits humains font commun usage des services étrangers
pour des communications importantes. Pour certains, comme Shi Tao, leur
confiance a été placée dans de mauvaises mains.
Shi est membre du
Independent Chinese PEN Association, dont l'organisme parent de Londres
– le PEN International – a entamé pour lui une série d'appels pour sa
libération. Zhang Yu, un porte-parole pour le groupe, a dit qu’«après
que Shi Tao eut été mis en prison, il a été assigné aux travaux forcés.
Il a perdu plus de 20 livres. La famille de M. Shi est aussi sous
pression à cause de leurs efforts d’en appeler pour lui».
M. Zhang dit que le PEN International projette bientôt une rencontre avec les cadres de Yahoo.