Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

La pollution ferait-elle vraiment croître l’économie ?

Écrit par Jonathan Vianou, La Grande Époque
25.10.2006
| A-/A+

 

En 1776, l’économiste Adam Smith publiait son célèbre ouvrage La richesse des nations. Généralement considéré comme le premier livre d’économie moderne, La richesse des nations

permit d’établir les fondements de la théorie économique du

libre-marché. La pertinence de ses analyses de la division du travail,

du marché, des salaires, des profits et de l’accumulation valut à son

auteur le titre de «père de l'économie politique». Selon lui,

l’économie politique devait enrichir à la fois le peuple et l’État. À

l’époque, environ 30 ans avant la révolution industrielle, la

population mondiale se chiffrait à un peu moins de 700 millions

d’habitants, soit la population actuelle de l‘Europe.

  • Une rivière(攝影: / 大紀元)

 

Les ressources naturelles étaient abondantes et paraissaient

inépuisables. Les biens les plus précieux provenaient presque

exclusivement de la technologie humaine. Le libéralisme économique

prôné par Adam Smith paraissait alors n’avoir que des avantages et

aucune contrainte.

Mais aujourd’hui, avec une population neuf

fois plus élevée, des problèmes environnementaux grandissants et des

ressources naturelles qui se font rares dans certains endroits du

globe, certains commencent à remettre en question l’hypothèse

fondamentale de la croissance économique infinie. Ainsi, «si la

croissance économique se fait au détriment de l’environnement, comment

l‘économie pourra-t-elle continuer à croître, alors que les ressources

naturelles sont toutes épuisées?», se demandent plusieurs économistes

de l’écologie, dont Herman Daly.

Une solution apportée par

cette branche marginale de l’économie serait d’inclure les coûts de la

détérioration de l’environnement dans un indice économique populaire

tel le produit intérieur brut (PIB). Les économistes néo-classiques

ridiculisent cette notion de «PIB vert». Les adeptes de la hard ecology

ne veulent même pas en entendre parler. Les Américains s’y sont

risqués, mais ont laissé tomber. Le Canada n’a pas d’opinion.

Devrait-on «verdir le PIB»?

Cela fait environ 50 ans que les

économistes se fient au PIB pour évaluer la croissance économique d’un

pays. On l’utilise aussi pour évaluer le niveau de vie de la

population. En fait, le PIB tente de mesurer la production économique

d’un pays au cours d’une année. Il inclut la valeur des biens finaux et

des services produits, la différence entre les exportations et les

importations, et la formation brute de capital (FBC). Le FBC représente

«l’ensemble des biens destinés à être utilisés dans le processus de

production pendant au moins un an, ce qui inclut l’achat de biens

d’équipements, de bâtiments et autres biens matériels». C’est souvent

cette dernière partie de l’équation que les environnementalistes

remettent en cause.

«En effet, les comptes nationaux considèrent

la dépréciation des capitaux provenant de technologies humaines, mais

la dépréciation des capitaux environnementaux n’est ni évaluée, ni

comptabilisée», souligne M. Haripriya dans un article universitaire.

Par exemple, dans le cas d’une compagnie forestière, le PIB prendrait

en considération le fait que la machinerie utilisée devra

éventuellement être remplacée, mais ne considère pas que la forêt devra

aussi être renouvelée, bien que ce soit une ressource essentielle pour

une compagnie forestière. Le PIB n’inclut pas non plus les pertes

encourues par la société du fait que sa forêt soit maintenant devenue

des planches de 2 x 4!

Toujours dans l’exemple de la forêt, une

autre critique à l’endroit du PIB est qu’il ignore tout produit ou

service qui ne fait pas partie du marché. Ainsi, bien que les forêts

fournissent plusieurs services comme le contrôle des inondations, la

protection du sol contre l’érosion, la séquestration du carbone, etc.,

ces services ne sont pas comptabilisés.

Mais la critique ne

s’arrête pas là. Puisque les services sont comptabilisés dans le PIB,

un service servant à restaurer l’environnement (restauration d’un site

contaminé, dépollution d’une rivière) fait aussi croître l’économie.

Dans le cas de la forêt, si une firme est engagée par une ville pour

gérer un problème d’érosion de sol provenant d’une surexploitation de

la forêt avoisinante, le PIB considérera que ce service a fait croître

l’économie.

M. Haripriya, professeur d’économie à la Madras

School of Economics en Inde, résume bien les critiques lorsqu’il écrit

«qu’ainsi l'épuisement et la dégradation de l'environnement sont

traités en tant qu'augmentation du revenu, alors que cet épuisement et

cette dégradation peuvent en fait avoir des conséquences négatives sur

l'économie dans l'avenir».

Lutte méthodologique ou lutte idéologique?

«Il

ne faut pas oublier que les économistes ont toujours reconnu que le PIB

possédait des erreurs intrinsèques», rappelle Joel Darmstadter,

économiste à Resources for the future, un groupe de réflexion

américain. «Le PIB n’est pas une garantie du bonheur humain, ni un

indicateur unique du bien-être humain.»

Ce qui suppose que

l’environnement pourrait faire l’objet d’un autre type d’indicateur.

Certains ont suggéré des approches par banque de données, ou encore de

développer entièrement un nouvel indicateur environnemental. Mais sur

quelle base considérer la forêt, par exemple? Devrait-on la considérer

en terme de volume, de superficie, de biodiversité, d’énergie

intrinsèque? Et puis comment fusionner la forêt avec la situation des

poissons, de la désertification, du réchauffement climatique, si ce

n’est en terme monétaire?

D’ailleurs, en 1973, deux économistes

de l’Université Yale, William Nordhaus et James Tobin, ont publié un

article fort remarqué dans le milieu universitaire qui comparait

certains indicateurs économiques traditionnels avec le niveau de vie

réel de la population afin d’établir une possible corrélation. Ils ont

observé que «le progrès indiqué par les indicateurs économiques

conventionnels n’étaient pas un mythe et, malgré tous les défauts qu’on

leur connaît, les indicateurs économiques représentent somme toute

convenablement la qualité de vie de la population».

«Bien qu'il y

ait un large consensus sur la prise en compte de l’environnement dans

les comptes nationaux, il n'y a eu aucun consensus sur la manière de le

faire. Différents chercheurs ont préconisé différentes approches»,

indique M. Haripriya.

Formulé différemment, on pourrait aussi

lire : «Nous savons qu’il y aura des défauts, mais nous ne savons pas

encore lesquels choisir.»

Ce qui semblait être à première vue

une simple question méthodologique se révèle une profonde lutte

idéologique. Alors que certains économistes sont principalement

concernés par la préservation du capital naturel, d'autres le sont

davantage par l'effet du changement environnemental sur la

soutenabilité de l’économie.

Poussée à l’extrême, la

préservation du capital partage une idéologie similaire à celle de

l’écologie radicale qui favorise une rupture de la vision

anthropocentrique de l’écologie afin de remettre l’humain au même

niveau que les espèces animales et végétales.

De l’autre côté,

ceux qui perçoivent l’environnement comme un bien que l’humain peut

utiliser d’une façon durable pourraient être amenés à l’extrême par la

vision des économistes néo-classiques. En effet, en économie de

l’environnement, il est utile d’identifier un équilibre entre la

capacité d’assimilation biologique de l’environnement et la pollution

engendrée par les activités humaines. Pour les écologistes, ce point

d’équilibre est la limite supérieure à ne pas franchir, car au-delà,

l’environnement n’est plus en mesure d’absorber la pollution et

celle-ci s’accumule. Pour les économistes, formés à optimiser

l’économie sous certaines contraintes, ce point d’équilibre est la

limite inférieure!

Ces courants de pensée favorisent

différentes approches, mais il demeure que l’approche du «PIB vert» est

la plus répandue, malgré son lot de défauts. L’expérience américaine

est d’ailleurs riche d’exemples sur ce point.

En 1994, le U.S.

Department of Commerce’s Bureau of Economic Analysis (BEA) s’est fait

confier le mandat de quantifier la valeur économique de certains

minerais pour la population américaine. Pour des raisons politiques

obscures, le Congrès américain n’a pas apprécié cette tentative

d’incorporer les coûts environnementaux dans les comptes nationaux et a

aboli le programme. Il a par la suite demandé une évaluation

indépendante sur les possibilités et les problèmes associés à ce type

d’étude. Le rapport, intitulé Nature’s Numbers, a été publié

en 1999. Il indiquait notamment qu’il n’est pas logique et qu’il est

inexcusable de ne pas considérer le capital non renouvelable du pays,

principalement le pétrole.

Toutefois, le rapport soulignait la

difficulté de faire des hypothèses raisonnables alors même que les

géologues, par exemple, n’étaient pas d’accord sur la quantité de

réserves de pétrole à découvrir. Dans le cas des minéraux, leur valeur

se trouvait entre 0,4 % et 1,4 % du BIP. Avec une croissance totale de

3,3 % cette année-là, le 1 % fait toute une différence. Le rapport

soulignait aussi que plusieurs problèmes sociaux et environnementaux

étaient impossibles à traduire en termes économiques sans en déformer

le sens.

Les auteurs de l’étude recommandaient de poursuivre le

développement d’une méthode de suivi des ressources naturelles dans une

perspective économique, mais renonçaient à l’inclure dans le calcul du

PIB. Selon eux, «le PIB existant doit demeurer le système de choix, car

il est irréaliste de croire qu’il est possible de faire un suivi des

ressources naturelles au même rythme que les biens et produits».

Le premier «PIB vert»

Généralement reconnue pour la destruction de ses ressources naturelles, la Chine publiait le 8 septembre dernier son China Green National Accounting Study Report 2004.

Ce rapport représente la première tentative mondiale de prendre en

considération les coûts environnementaux dans le calcul du PIB.

Puisque

la Chine est aussi reconnue pour ses services d’information souvent

incorrects, le responsable de l’étude, Pan Yue, a rencontré plusieurs

médias occidentaux en personne afin d’exposer les résultats de l’étude

ainsi que l’objectif recherché par son rapport. Discutant ouvertement

des flagrants problèmes environnementaux de son pays, il a indiqué que

bien que son BIP ajusté ne soit pas le BIP officiel chinois pour

l’instant, son rapport permettra certainement de conscientiser les

différents paliers gouvernementaux à ne pas se développer au détriment

de l’environnement. Il soutient que le gouvernement central a la

volonté d’allier le développement économique à la protection de

l’environnement, mais que le problème se situe au niveau local. Les

gouvernements locaux sont en effet promus selon leur performance de

développement économique. En y ajoutant la corruption, l’environnement

est relayé loin derrière dans leurs priorités.

Le rapport

indique que les pertes environnementales provenant de la pollution

représente 3 % du BIP en 2004, faisait ainsi chuter la respectée

croissance chinoise de 10 % à 7 %. M. Yue précise que les coûts

utilisés sont très conservateurs puisqu’ils ne considèrent que la

moitié des vingt facteurs habituellement calculés dans le «BIP vert».

Il

est aussi intéressant de noter que le coût pour éliminer toute

pollution causée en 2004 serait de 7 % du PIB. Ainsi, le PIB calculé

avec la méthode actuelle afficherait une croissance de 17 %, alors

qu’un «BIP vert» afficherait plutôt 3 %.

Il y a environ un an,

les États-Unis refusaient de signer le protocole de Kyoto en soutenant

que leurs efforts déployés seraient contrecarrés par la pollution

provenant des pays en développement. Il est vrai, particulièrement pour

les pays en émergence, que leurs émissions de gaz à effet de serre vont

probablement augmenter drastiquement. L’étude, publiée le 29 septembre

dernier par la firme de consultants Pricewaterhouse Coopers, indiquait

qu’afin de profiter d’un développement durable, leurs émissions ne

devaient toutefois pas augmenter de plus de 30 % d’ici 2050. Quant au

G7, il devra réduire ses émissions de 50 % d’ici 2050, l’équivalent de

dix Protocoles de Kyoto. Dans ce scénario, les citoyens américains et

canadiens consommeraient encore un bon 2,5 fois plus d’énergie par

habitant que ceux des pays en émergence, au lieu de 5 fois plus comme

actuellement. Le coût pour ce beau projet : 0,01% du PIB chaque année,

durant les 45 prochaines années. Mais ce projet nécessite qu’on

affronte la réalité. Et le «BIP vert» est plus réel que le PIB actuel.

 

 

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.