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Immigration clandestine : quand l'Europe étrangle l'Afrique

Écrit par Zora Ait El Machkouri, La Grande Époque
16.11.2006
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  • À l'évocation de l'immigration clandestine(攝影: / 大紀元)

 

À l'évocation de l'immigration clandestine,

qui n'a pas en tête ces images de radeaux surchargés, ou encore de cayucos,

ces petites embarcations chancelantes de pêcheurs sénégalais? Le foisonnement

médiatique sur le sujet a façonné la conscience collective européenne au point

que, par exemple, les Espagnols en font leur principale préoccupation, loin

devant le terrorisme.

L'Union européenne a décidé

d'agir : diplomatie persuasive, transactions financières, présence côtière

renforcée, barrages routiers soutenus, l'encerclement du continent africain par

l'Union européenne est entamé.

Le 30 octobre dernier,

la

Marine royale marocaine a de nouveau

intercepté une embarcation de 108 Gambiens au large du littoral de Oued

Eddahab, dans le sud du pays. Aucun étonnement à savoir que ces immigrants

visaient l'Archipel des Canaries.

Le même jour, mais cette fois au nord du

Royaume, à Nador, les autorités marocaines ont arrêté quatorze autres migrants

qui tentaient de joindre l'Eldorado européen. Ce nombre peu élevé de personnes

arrêtées au nord illustre la nouvelle donne des flux migratoires en provenance

de l'Afrique : le Maroc n'est plus un point de passage sur sa côte nord.

 

Étant en première ligne en ce qui concerne

les frontières sud de l'Europe, le Royaume chérifien n'a pas eu le choix

d'adopter une politique contre l'immigration clandestine similaire à ses

homologues européens et à travailler en étroite collaboration avec son voisin

espagnol.

Selon le professeur Mehdi Lahlou, associé à

l’Université Mohamed V de Rabat et spécialiste des migrations internationales

entre les pays du Maghreb, l’Afrique subsaharienne et l’Union européenne, le

Maroc devait accepter cette politique. «Il est un pays de départ et de transit.

Le Royaume a signé depuis 1996 des accords pour l'instauration d'une zone de

libre-échange avec l'Union européenne. Le Maroc a besoin, comme

la

Tunisie, des programmes d'accompagnements

européens pour la mise à niveau de leurs industries respectives pour une plus

grande ouverture de leurs frontières aux échanges avec l'Europe.»

Ce changement de politique n'a cependant

été possible pour le Maroc qu'en vertu d'une contrepartie financière.

L'ambassadeur d'Espagne au Maroc a d'ailleurs qualifié de «très bonnes» les

relations bilatérales entre les deux monarchies, précisant que les échanges

commerciaux entre les deux pays ont augmenté de plus de 20 % entre 2005 et

2006.

 

Le professeur Lahlou précise qu'«en réalité

le Maroc a reçu, au cours de l'été dernier, 70 millions d'euros, ce qui soldait

un engagement pris par l'Union européenne en 2002, selon lequel l'Europe

faisait un don au Maroc de 420 millions d'euros pour l'aider dans la gestion

des flux migratoires à partir de son territoire. En attendant, les autorités

marocaines disent avoir dépensé plus de 90 millions d'euros à l'occasion de

leurs diverses interventions pour "protéger'' l'Espagne des assauts de

migrants au cours de l'automne 2005.»

Le passage par le Maroc, et

plus largement par l'Afrique du Nord, devenant plus difficile, les couloirs

migratoires sont descendus plus au sud. Les immigrants ont dû opter pour

la

Gambie,

la

Guinée-Bissau,

la

Guinée Conakry ou encore le Sénégal. Cette

côte ouest africaine est devenue, depuis le mois de juillet dernier, le nouveau

point de départ des migrants africains et même de certains migrants

pakistanais. L'avortement, par les autorités marocaines et espagnoles, de

plusieurs opérations au cours de l'année dernière, a accéléré ce changement de

cap.

L'Espagne aux aguets dans les eaux

africaines

 

Côté européen, ce sont effectivement les

Espagnols qui sont devenus malgré eux les gendarmes de l'Europe dans ses

frontières sud. Leur archipel des Canaries est devenu la principale destination

depuis que le détroit de Gibraltar a été «maîtrisé» par le Maroc. Mais l'Espagne

prend les devants et durcit ses actions. Le samedi 28 octobre, plus de 140

Gambiens ont été rapatriés d'Espagne à l'aéroport de Banjul, la capitale

gambienne. Un des migrants, Amadou Garra, interrogé par l'agence Reuters, a

déclaré qu'en les embarquant on aurait «omis» de leur préciser la destination.

Ou plutôt on leur aurait parlé d'un simple transfert dans un camp de réfugiés à

Madrid et Amsterdam, et non d'un rapatriement.

Depuis la mi-septembre, 4000 immigrants

illégaux ont été renvoyés au Sénégal par l'Espagne.

Madrid tente de mettre en place un maximum

de collaboration avec les pays d'émigration. Depuis le mois de mai dernier, par

exemple, les patrouilles maritimes menées conjointement avec l’Espagne ont

permis à

la

Mauritanie d’intercepter puis d’expulser

quelque 10 000 ressortissants d’Afrique de l’Ouest qui tentaient de rejoindre

les Canaries.

Dans un rapport gouvernemental publié la

semaine dernière, Bernardino Leon Gross, le secrétaire d’État espagnol aux

Affaires étrangères, et Antonio Camacho, le secrétaire d’État espagnol chargé

de la sécurité, affirmaient qu'«avec

5000

kilomètres de frontières

terrestres et

740

kilomètres de frontières

maritimes, il est extrêmement difficile pour

la

Mauritanie de contrôler l’afflux incessant

d’immigrants clandestins sur son territoire».

Pour venir en aide à

la Mauritanie,

l’Espagne a envoyé quatre patrouilleurs, un hélicoptère et une vingtaine de

gendarmes de la garde civile dès le mois de mai. Depuis, ils ont mis en place

des patrouilles côtières et formé des forces de sécurité mauritaniennes. 

 

Les Espagnols sont devenus nerveux

vis-à-vis de l'immigration clandestine. Selon un sondage de l'Institut de

recherches sociales relevant du gouvernement espagnol, publié le 26 octobre

dernier, près de 60 % des Espagnols estiment que l'immigration clandestine

constitue actuellement le premier problème pour le pays. Marquant ainsi une

forte hausse par rapport à juin et juillet 2006, lorsque cette préoccupation ne

dépassait pas respectivement 35,9 % puis 38 %. Le terrorisme, quant à lui, a

été relégué au 4e rang des préoccupations des Espagnols.

 

Diplomatie européenne : tractations et

pressions sur le continent africain

C'est en octobre 2005 que le commissaire

européen, Franco Fattini, estimait que l'Union européenne ne pouvait plus se

contenter de «fils de fer barbelés». Depuis, l'heure est à l'action en aval

avec tous les moyens efficaces, la diplomatie persuasive au-delà des frontières

mêmes de l'Europe. 

 

Comme le rappelle le professeur Lahlou,

déjà en juin 2002, à Séville, le Conseil européen soulignait au point 33 de ses

conclusions de la présidence, «que tout accord futur de coopération ou

d'association, que

la Communauté

européenne ou l'Union européenne conclura avec quelque pays que ce soit, soit

inséré une clause sur la gestion conjointe des flux migratoires ainsi que sur

la réadmission obligatoire en cas d'immigration illégale».

Ces derniers jours, la communauté

européenne a multiplié les visites en Afrique pour bien faire comprendre aux

pays concernés que l'heure n'est plus au relâchement. 

 

La rencontre du 11 et 12 juillet dernier à

Rabat, au Maroc, est un exemple probant du genre de négociation que veut

conclure l'Union européenne avec ses alliés africains. «Cette rencontre s'est

fait sur un malentendu», souligne Medhi Lahlou, «les pays africains attendaient

de l'aide financière, mais les Européens parlaient plutôt de la notion

abstraite d'aide au développement.»

Dialogue de sourds qui a donné raison aux

Européens avec des accords de rapatriement et des blocages aux frontières cédés

par les pays d'émigration, qui n'ont pas su faire front commun pour demander

clairement à l'Europe une aide financière conséquente. Malgré tout, l'Union

européenne entend faire respecter les accords signés. 

 

Pour preuve, le commissaire européen en

charge du développement et de l'aide humanitaire, Louis Michel, était en

tournée en Guinée Conakry, au Sénégal et en Mauritanie les 25, 26 et 27 octobre

derniers. Son objectif : faire respecter à ces États l'article 13 de l'accord

de Cotonou qui indique clairement qu'ils sont tenus d'accepter les accords de

réadmission. «Nous devons les aider à mieux contrôler leurs frontières et leurs

ports.»

Autre genre de diplomatie persuasive, le

président du Conseil italien, Romano Prodi, effectuait une visite officielle,

le 30 octobre 2006, à Tunis. Selon lui, «il ne s'agit pas de contrôler les flux

migratoires, mais d'apporter une contribution active en investissement dans les

pays de l'émigration».

La Tunisie devait apporter sa contribution en matière de maîtrise du flux

migratoire en échange du financement de la construction d'une grande centrale

électrique, dont une partie de la production sera exportée vers l'Italie. Dans

la même optique, le chef d'État mauritanien, Ely Ould Mohamed Vall, en visite à

Madrid le 29 octobre dernier, s'est félicité du dispositif de contrôle très

efficace mis en place avec l'Espagne. Dispositif terrestre et maritime mis en

place depuis janvier 2006 qui a empêché 11 000 bateaux de partir pour les

Canaries.

L'Union européenne met ainsi en pratique sa

politique au-delà de ses frontières. Elle prend les moyens de contrôler, et

même d'endiguer, en aval le flux migratoire africain. En face d'elle, les pays

d'émigration restent pénalisés sans doute par leur volonté de ne pas faire

front commun pour constituer un partenaire de négociation de poids. Mais le

phénomène migratoire entre l'Afrique et l'Union européenne n'est qu'à ses

débuts. La question reste à savoir si, d'un côté, l'Union européenne aura les

moyens opérationnels et financiers de poursuivre cette politique d'endiguement

et de multiplier ses frégates dissuasives en eaux africaines, et de l'autre

côté, de savoir jusqu'à quand les pays africains accepteront cet étranglement.

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.