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Commerce équitable : le pouvoir des consommateurs

Écrit par Thierry Brun (www.politis.fr)
17.04.2006
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Du 3 au 18 mai, dans toute la France, se tiendra la Quinzaine du

commerce équitable. En quelques années, ce nouveau mode de consommation

est devenu une alternative à un commerce mondialisé qui exploite sans

vergogne les producteurs des pays du Sud. Un simple geste d’achat peut

contribuer à transformer le système. Explication.

  • Du café(STF: MIKE CLARKE / ImageForum)

 

Kalinda, Tzul

Tacca, Soléla, Chantico, Tingo Maria, Malongo, Sati, Quétal... Ces

marques de café sont encore peu connues. Pourtant, on trouve certaines

d’entre elles dans les grandes surfaces où nous poussons régulièrement

nos chariots de commissions. Comme certains jus de fruits, thés,

chocolats, etc., elles ont la particularité d’être labellisées

« commerce équitable ».

Du 3 au 18 mai, lors de la troisième

édition de la Quinzaine du commerce équitable en France, on rappellera

que cette forme d’échange alternative est connue d’un tiers des

Français (1) et que la crise économique mondiale constitue une raison,

évidente, d’acheter ce type de produits. Cet acte si banal, si

quotidien, est un moyen sans précédent, pour les

citoyens-consommateurs, de dénoncer les effets pervers du libéralisme

économique.

Le cas du café - la deuxième matière première

échangée après le pétrole - en est une illustration. Les consommateurs

ignorent généralement, en lisant l’étiquette de leur paquet de café

habituel, que ce commerce florissant, totalement libéralisé, creuse les

inégalités entre les pays riches qui le consomment et les pays du Sud

qui le produisent. La part des 48 pays les plus pauvres dans le

commerce international est de 0,3 %, c’est-à-dire bien peu de chose

face aux multinationales qui tiennent les rênes du marché mondial et

notamment celui des matières premières agricoles. Quatre sociétés

contrôlent 40 % du commerce du riz, sept sociétés 85 % du commerce du

cacao. Quant au café, il génère des recettes qui restent de moins en

moins dans les pays producteurs alors que ceux-ci fournissent 70 % de

la production mondiale, indique le label de commerce équitable Max

Havelaar.

Quelque chose ne va pas au royaume du commerce. La

crise s’explique par le fait que la majeure partie de la récolte

caféière mondiale dépend des seuls cours négociés sur les marchés, où

la spéculation joue un rôle clé. Il y a peu de place pour les petits

producteurs dans ce grand marchandage, ignoré des consommateurs des

pays riches. Les grandes enseignes de la distribution s’y taillent

pourtant la part du lion. Et les multinationales exercent un pouvoir de

pression considérable sur les décisions des gouvernements et sur les

instances internationales comme l’OMC.

Cette déréglementation

d’inspiration libérale a de graves conséquences : des fonds

d’investissement ont spéculé en 1997 sur le cours du café et empoché de

gros bénéfices, pendant que des millions de cultivateurs ont été

réduits à la faillite quelques années plus tard en Amérique du Sud et

en Afrique. La crise du café a rapporté 8 milliards de dollars à

l’industrie ! Nestlé, dans son rapport annuel, montre que ses bénéfices

pour l’année 2000 s’expliquent par la baisse du cours des matières

premières.

« Et le consommateur ? Est-il au courant de la baisse du cours du café ? Bien sûr que non »,

répond Anne-Françoise Taisne, présidente de la fédération Artisans du

monde, l’un des précurseurs du commerce équitable en France (2) avec

les coopératives distribuant des produits issus de l’agriculture

biologique. Le rôle du citoyen-consommateur est pourtant décisif. Une

vingtaine d’organisations, regroupées dans une Plate-Forme pour le

commerce équitable (PFCE), en sont convaincues. Et proposent une

alternative. Il s’agit de payer un prix juste aux producteurs du Sud,

pour leur donner les moyens de gérer eux-mêmes leur développement. Pour

le café, le label de commerce équitable Max Havelaar garantit notamment

« un prix minimum d’achat, une prime de développement ainsi qu’un

achat direct. Actuellement, le prix d’achat est le double du cours

mondial. En contrepartie, les coopératives s’engagent à fonctionner

démocratiquement, à ne pratiquer aucune forme de discrimination et à

fournir un café de qualité ». Aujourd’hui, 500.000 familles de

producteurs de café dans 25 pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie

appartiennent au système Max Havelaar, qui n’est pas seul dans ce

créneau.

À partir de cette idée simple, des citoyens se sont

lancés dans l’aventure de ce que l’on appelle aujourd’hui le commerce

équitable. Ces acteurs économiques au Sud et au Nord ont en effet le

« pouvoir » d’établir des relations basées sur d’autres valeurs que

celles de l’économisme dominant. En changeant ses modes de consommation

pour des modes plus durables, chaque citoyen du Nord peut participer à

une transformation de l’économie. Mises en pratique, ces belles idées

ont permis l’organisation des petits producteurs en coopératives, leur

participation à des relations économiques habituellement réservées aux

puissantes multinationales, tout en affirmant des valeurs de solidarité

et de coopération.

En France, le chiffre d’affaires du commerce équitable est passé de 6 millions d’euros en 2000 à 45 millions d’euros en 2003. « En

2001, les produits labellisés vendus en grandes et moyennes surfaces

ont généré un revenu net de 3,7 millions d’euros pour 50.000 familles

de producteurs, soit un excédent de 2,3 millions d’euros par rapport au

commerce traditionnel », indique la PFCE. En Europe, principale

destination mondiale des produits issus du commerce équitable, le

chiffre d’affaires représente 373 millions d’euros.

Compte tenu

du contexte, ces chiffres constituent en soi une petite victoire. Car

« l’Organisation mondiale du commerce rend l’accès au marché difficile

voire impossible pour un grand nombre de producteurs », explique

Anne-Françoise Taisne. Avec la libéralisation du commerce décidée dans

le cadre de l’OMC, de nouvelles barrières ont surgi. « Des

multinationales s’arrogent le droit de déposer des brevets sur des

variétés agricoles existant depuis des décennies. 80 % de la

biodiversité se trouve dans les pays du Sud mais 90 % des brevets sont

octroyés à des entreprises du Nord », rappelle aussi la présidente

d’Artisans du monde. Ainsi, la société texane Rice Tech a obtenu un

brevet sur deux variétés de riz Basmati légèrement améliorées,

destinées à être cultivées aux États-Unis. Rice Tech utilise le nom et

l’espèce pour commercialiser du riz aux États-Unis, les agriculteurs

indiens devant payer des royalties à cette société américaine pour

vendre leur production aux États-Unis sous le nom de Basmati dans les

grandes surfaces nord-américaines. Comment pratiquer du commerce

équitable dans ces conditions ?

Aujourd’hui, les citoyens

disposent de réseaux de distribution alternatifs comme les boutiques

Artisans du monde et Biocoop. Ils y trouvent du café labellisés

« commerce équitable ». Mais dans la plupart des cas, c’est dans les

grandes surfaces qu’ils auront l’occasion d’acheter ce café (voir

article p. 20). Faut-il pour autant que les produits issus du commerce

équitable cherchent à grappiller quelques parts de marché auprès de la

grande distribution ? « Distribuer équitable, ce n’est pas proposer

aux consommateurs quelques paquets de café Max Havelaar, comme dans la

grande et la moyenne distribution (GMS), remarque Hugues Toussaint,

secrétaire général du réseau de distribution Biocoop (3). Pour la GMS,

reine du recyclage des mots et des idées, la démarche marketing

‘équitable’ supplée l’approche citoyenne. » Et il est à craindre

que le commerce équitable y perde son âme puisque les produits

labellisés ne représentent qu’un faible pourcentage du chiffre

d’affaires global de la grande distribution, et apparaissent comme un

alibi pour perpétuer des pratiques néfastes à l’égard des fournisseurs

et des salariés. « Si l’on prend l’exemple du café, produit phare

du commerce équitable, ajoute Anne-Françoise Taisne, on constate que

l’introduction d’un prix équitable depuis presque quinze ans n’a pas eu

d’effet d’entraînement sur les pratiques des multinationales, même si

certaines d’entre elles augmentent leurs achats à des producteurs

inscrits sur le registre de FLO (4) ».

La consommation citoyenne est certes un puissant levier de changement pour infléchir les modes de production.

Pourtant, le passage à l’acte se développe timidement. Le manque

d’informations sur les produits est un frein face au maquis de

l’étiquetage des produits, notamment en matière de labels. C’est aussi

ce que propose d’explorer ce dossier, pour que ces autres modes

d’échanges ne soient plus minoritaires.

[suite du dossier « Commerce Equitable et ses enjeux » dans Politis n° 749]

(1) Selon un sondage Ipsos d’octobre 2002.

(2)

Le commerce équitable : un accès au marché ou une démarche de

changement ?, Anne-Françoise Taisne, Techniques financières et

développement, n° 69, décembre 2002.

(3) Lire Consom’Action, le magazine des Biocoops, dont le numéro spécial 2003 est consacré au commerce équitable.

(4)

Fairtrade Labelling Organisation (FLO), organisation internationale qui

coordonne l’action des 17 associations de labellisation du commerce

équitable telles que Max Havelaar. FLO est reconnu par Fine,

l’organisation qui regroupe les quatre fédérations internationales de

commerce équitable (FLO, Ifat, News, Efta).

 

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