Doutes sur les prêts colossaux des banques chinoises
Les prêts non performants dans le secteur bancaire chinois deviennent
de plus en plus importants. Selon un récent rapport du cabinet Ernst
& Young, la Chine pourrait avoir près de 911 milliards de dollars
de créances douteuses.
Une créance douteuse est un prêt en défaut de remboursement, ou bien dans un état proche du défaut.
Selon
le Fonds Monétaire International (FMI), la plupart des prêts sont
classés comme douteux (prêts non performants) dès lors qu’ils sont en
défaut pendant 3 mois.
Selon le rapport d’Ernst & Young « L’attribution
agressive de prêts par les banques chinoises entre 2002 et 2004 s’est
traduite par une nouvelle vague potentielle de prêts non performants
qui pourraient atteindre les 225 milliards… incluant une estimation de
65 milliards de prêts immobiliers qui pourraient très bien être
enterrés dans la catégorie ‘mention spéciale’ [prêts suspectés d’être
non remboursables sous quelques mois, et donc non enregistrables en
comptabilité dans la catégorie ‘prêts douteux’] ». « A cause du
manque de transparence et d’autres problèmes, le volume des prêts
douteux chinois actuels n’est pas représentatif de l’ensemble des prêts
douteux enregistrés depuis 1998 ».
Selon un communiqué de
l’agence Reuters daté du 11 mai dernier, Ernst & Young fut
contrainte par la Banque Populaire de Chine de retirer son rapport sur
les prêts douteux. Ernst & Young est en effet l’audit de la Banque
industrielle et commerciale de Chine (la plus grande banque de Chine
par ses actifs financiers) dans la préparation de sa future
introduction en bourse prévue à Hong Kong début juin.
Le
manque d’indépendance tend à devenir la norme dans le secteur financier
chinois, et un tel rapport pourrait coûter cher à Ernst & Young
dans son développement commercial en Chine. Une autre recherche
effectuée par les cabinets Mac Kinsey & Co et Price Waterhouse
Coopers a fait état de résultats similaires en ce qui concerne la
description des prêts douteux chinois.
Transfert des prêts douteux vers des banques étrangères
Les
« 4 grandes » banques nationales chinoises (la Banque de Chine, la
Banque d’agriculture de Chine, la Banque industrielle et commerciale de
Chine, la Banque de construction de Chine) sont à l’origine de la plus
grande part des 65 % de l’ensemble des prêts douteux connus.
Les
« 4 grandes » banques se sont déchargées d’environ 39 % de leurs
créances douteuses, soit 230 milliards de dollars sur quatre structures
de défaisance chinoise compagnies (appelées AMC, Asset Management
Company, qui sont : Cinda, Huarong, Orient, et Great Wall), qui ont été
créées en 1999 par le Conseil d’Etat Chinois.
Ces compagnies de
gestion (AMC) ont été aussi créées pour collecter les fonds impayés,
vendre les portefeuilles de prêts douteux aux banques locales ou
étrangères qui sont contraintes d’accepter de les acheter ou de les
annuler.
La Chine a décrété que tous les prêts douteux
gouvernementaux devaient disparaître des comptes avant la fin de
l’année. Les AMC deviendront quant à elles indépendantes après 2006.
Ces compagnies se sont pour le moment déchargées de près de 60 % des
prêts douteux, mais sont contraintes de toutes parts pour atteindre
l’objectif fixé par le gouvernement pour la fin de l’année 2006.
Entre
septembre 2005 et février 2006, une joint-venture entre Citigroup et
SilverGrant a acheté pour 4,5 milliards de dollars de prêts non
performants chinois, une autre entre Deutsche Bank et AIG pour
2 milliards, Avenue Capital pour 624 millions, et Citigroup en a repris
pour 561 millions de dollars.
Selon un récent rapport de Price Waterhouse Coopers (PWC), « depuis
la fin 2005, une cascade d’accords entre les AMC et des investisseurs
étrangers a été annoncée… Il reste à confirmer que les AMC puissent
disposer des prêts antérieurs à 1999… Il peut être difficile de se
faire rembourser, les prêts de 1999 sont plus anciens et moins
attractifs ».
Les compagnies de gestion doivent brader leurs
ventes de prêts non performants, mais redoutent de devoir les brader
plus encore. Selon PWC, le prix moyen à venir pour les dettes fortement
douteuses est de 30 cents pour chaque dollar, intérêt compris.
Ces
compagnies de gestion à caractère gouvernemental viennent de changer
leur stratégie et exigent maintenant pour les prêts non performants des
prix proches de leur valeur faciale, en affirmant qu’après leur
réorganisation, beaucoup de compagnies nationales dont les prêts sont
douteux, sont déjà parvenues à l’équilibre et font des profits
intéressants. Selon PWC, « peu d’investisseurs internationaux
croient qu’ils parviendront à atteindre les rendements demandés avec de
tels prix de vente ».
Les banquent comptent sur « l'intelligence locale »
Depuis
la crise des années 1980 dans le secteur« Savings & Loans » aux
Etats-Unis, le public s’est habitué aux défauts de remboursements de
prêts. Par la suite, des prêts non performants sont apparus en Corée
durant la crise financière asiatique, en Allemagne et en Inde. Selon un
communiqué d’Ernst & Young, « le développement de ce marché de
créances douteuses de dizaines de milliards de dollars a abouti à un
énorme apprentissage pour les banques, les régulateurs et les
investisseurs ».
Les pratiques traditionnelles comme la
confiance dans les données comptables historiques ont été jetées par la
fenêtre. Les analyses détaillées en « due diligence » sont devenues une
pratique courante pour les banques étrangères en Chine, où la
transparence est inexistante.
L’expertise des investisseurs
étrangers s’accroît au fur et à mesure qu’ils collectent la dette
chinoise. La confiance traditionnelle dans la documentation sur les
prêts n’a plus de valeur dans l’industrie bancaire chinoise corrompue.
L’utilisation de sources locales, incluant des avocats et des
délateurs, afin de traquer les débiteurs cachés et de découvrir les
fonds dissimulés, est souvent plus fructueuse que l’analyse de
l’information existante.
Selon Ernst & Young, [ils] se concentrent sur « l’intelligence locale » ou sur « la
maîtrise de l’ensemble des parties prenantes, afin de comprendre où des
fonds hors bilan peuvent être cachés et comment on peut avoir mis fin à
un accord afin de faire un compromis confortable ».
L’investisseur étranger est désavantagé
Cependant,
l’information concernant les créances douteuses en Chine est rare. De
nombreux prêts ont été approuvés sous influence politique et accordés
aux officiels du Parti Communiste Chinois et aux entreprises publiques,
sans aucune vérification des informations sur des conditions de
crédits.
Selon Ernst& Young « il est difficile d’obtenir
une information juste sur un prêt non performant dans les portefeuilles
de prêts d’une banque chinoise, parce que la culture bancaire s’oppose
à la franchise et à la responsabilité, un environnement opérationnel
décentralisé et des réglementations restreignent les banques [leurs
capacités] à se déterminer par rapport aux prêts ».
Les
investisseurs étrangers qui achètent les prêts non performants sont
également fortement désavantagés, bien que les locaux prétendent que
les étrangers sous-paient ce qu’ils obtiennent. En plus, les
entreprises locales sont souvent associées aux AMC soutenus par le
gouvernement, et les investisseurs étrangers sont dans une position
d’infériorité pour obtenir les meilleures affaires.
Le cabinet PricewaterhouseCoopers souligne que «
les investisseurs locaux ne sont pas connus pour surpayer [quand ils
font une acquisition d’un portefeuille de prêts non performants]. [Ils]
maintiennent une relation privilégiée avec AMC et c’est pourquoi [ils]
sont mieux placés pour sélectionner des actifs qu’ils veulent - ceux de
prêts non performant pour lesquels, à travers leur connaissance locale,
ils ont un substantiel potentiel de réduction de risque ».