Réouverture de l’ancienne Route de la soie
Malgré le temps défavorable marqué par la grêle, le cérémonial de
réouverture de l’ancienne Route de la soie a eu lieu le 6 juillet 2006
à Nathu La, un point de passage dans les montagnes à la frontière entre
la Chine et l’Inde.
La cérémonie a été entamée en coupant un ruban de
soie rouge. Le premier ministre de l’État indien Sikkim, Pawan Kuma
Champling, et Qiangba Phuntsong, président de la région chinoise
autonome du Tibet, ont participé à la cérémonie. «Ce n’est pas juste
une route de commerce, mais une autoroute culturelle», a affirmé
Chamling, avec l’espoir que la population locale pourrait à nouveau
rendre actif le marché avec leurs voisins tibétains.
Sur le
drapeau indien de couleur jaune, on pouvait lire «Bienvenue à Nathu
La», tandis que le drapeau rouge chinois indiquait «Félicitations à
l’occasion de la réouverture du point de passage frontalier sino-indien
de la route du commerce». Les panneaux indiens de signalisation
routière avec les slogans «Vous êtes maintenant sous l’observation de
l’ennemi» ont été retirés et remplacés par d’autres sur lesquels on
lisait «Venez chez nous».
La délégation indienne était dirigée
par Christy Fernandez, président directeur général de Export Credit
Guarantee Corporation of India Ltd. (ECGC), et la délégation chinoise
par Hao Peng, vice-président de la Région autonome du Tibet (TAR).
ECGC est l’agence indienne gouvernementale qui offre l’assurance crédit à exportation pour les exportateurs indiens.
«La
reprise du commerce frontalier sino-indien est un événement historique
important», a annoncé le chef de la délégation indienne, pendant que
les soldats des deux camps surveillaient la cérémonie. En Inde,
l’événement fut qualifié d’historique par certains hommes d’affaires et
certains hommes politiques procommunistes.
Les locaux n’étaient
pas aussi enthousiastes au sujet des possibilités d’échanges. Ils se
référaient plutôt au tourisme –provenant surtout des pèlerins
bouddhistes– qui peut probablement apporter plus de revenus que le
commerce frontalier.
Les marchés commerciaux étaient déjà ouverts
des deux côtés depuis plusieurs jours : le marché Sherathang en Inde et
le marché Renquinggang du comté de Yadong, TAR. Chose étonnante, le
dollar sera la monnaie d’échange.
Dans ce qui semblait un geste
préparé, l’Inde envoya 92 commerçants souriants traverser la frontière
en direction du marché de Renqinggang, dans l’espoir d’un démarrage
fructueux et rapide des échanges commerciaux. En contrepartie, l’Inde
laissa 89 chinois tibétains traverser sa frontière. Le gouvernement du
Sikkim semble très optimiste en annonçant une prévision des échanges
commerciaux qui pourraient atteindre un montant de 12 milliards de
dollars d’ici 2015.
La réalité après l’euphorie
En
réalité, un temps très froid avec de fortes chutes de neige rend Nathu
La infranchissable pendant huit mois par année et ne laisse qu’une
courte période de quatre mois pour les échanges, du 1er juin au 30
septembre.
Les Chinois ont déjà construit une autoroute à travers
les montagnes jusqu’au col de Nathu La. La grille de fil de fer barbelé
qui d’ordinaire bloquait le passage a été retirée et remplacée par une
allée de 7 mètres de large surmontée d’un muret en pierres.
Des
deux côtés, les bunkers militaires et les barbelés restent en place
ainsi que les soldats ¬bien que cachés derrière des branchages, car on
peut encore entendre parfois les tirs de fusils– ce qui donne
l’impression que tout n’est pas aussi calme que les deux anciens
ennemis veulent le laisser paraître. Malgré ce geste d’ouverture, le statut quo diplomatique continue.
L’accord
de commerce sino-chinois de Nathu La est toujours limité à 100
commerçants de part et d’autre, ainsi qu’à 29 produits indiens et
quinze produits chinois exempts de taxes (duty free). Les produits
destinés aux échanges incluent des produits agricoles (conserves), des
textiles, des couvertures, de l’alcool, des épices locales, du riz, du
thé, de la soie, des peaux de chèvres et de moutons, des queues de
yacks et de la laine.
Des rumeurs circulent selon lesquelles
les permis d’échange ne seront accordés qu’à partir des commerçants
originaires de l’État indien du Sikkim, ce qui suscite, selon WebIndia,
le site d’informations indiennes, des mécontentements des Indiens
bengalis : «Comment peut-on qualifier cela de commerce sino-indien
lorsque les commerçants en dehors du Sikkim ne sont pas autorisés à
faire du commerce?»
Quelle que soit la portée du commerce et des
affaires qui en résultent, les analystes croient que tout cela est
d’importance secondaire pour les gouvernements de l’Inde et de la Chine
communiste. La Chine se soucie de restaurer son image en montrant
qu’elle s’occupe du Tibet et de son économie, et l’Inde cherche à
développer ses relations diplomatiques avec la Chine pour déjouer
l’influence pakistanaise dans la région.
Un journaliste chinois
s’est exprimé assez franchement avec un reporter de WebIndia : «Je
pense que ce commerce est symbolique. Pensez-vous que la vente d’herbes
locales ainsi que de queues et de poils de jacks, de chèvres, de
chevaux peuvent changer la richesse économique de deux régions?»
La mémoire du passé
La
célèbre et ancienne route commerciale passait par Nathu La, reliant les
commerçants de l’ancienne Chine avec l’Asie centrale et l’Europe. Ce
tronçon de la Route de la soie faisait plus de 560 km de long et
reliait Lhassa au Tibet avec Gangtok, capitale du Sikkim, en Inde.
Les
conflits frontaliers entre l’Inde et la Chine communiste ont fermé le
passage de Nathu La en 1962, ce qui donna un sérieux coup aux économies
cloisonnées de l’État indien du Sikkim et du Tibet.
En 2003, la
Chine suggéra à l’Inde l’idée d’une réouverture du passage et accepta
de stopper ses demandes territoriales sur le Sikkim, en échange d’une
reconnaissance par l’Inde de la souveraineté de la Chine sur la région
autonome du Tibet.
Avant la dispute frontalière, selon un
journal indien, «Nathu La était un point de commerce majeur entre les
deux côtés. Les Tibétains et les Indiens ont fait de fructueuses
affaires dans le commerce de marchandises, de matériaux de construction
et de tout ce qui pouvait être transporté à dos de mule».